Marchettes sur roues, stores à cordes, jouets rappelés : de nombreux produits interdits de vente au Canada, jugés dangereux pour les bébés et les enfants, demeurent facilement accessibles au pays. Ces indésirables – vendus sur des marchés en ligne comme Amazon – passent facilement entre les mailles du filet des autorités, a constaté La Presse.

De nombreux contrevenants

Sur la plateforme canadienne d’Amazon, au moins dix modèles de marchettes neuves peuvent être achetés et livrés au Québec au terme de trois ou quatre clics. Ces enceintes de déplacement sur roues sont pourtant interdites d’importation et de vente au Canada depuis près de 20 ans.

Aux fins de cette enquête, nous avons commandé une marchette vendue quelque 200 $ à Amazon.ca. Nous l’avons reçue sans peine environ deux semaines plus tard, en février. La boîte, carrée et étroite, ne laissait aucunement deviner la nature du produit.

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Aux fins de cette enquête, nous avons commandé une marchette vendue quelque 200 $ à Amazon.ca.

Avant leur bannissement en 2004, les marchettes – parfois nommées « youpalas » ou trotteurs – étaient associées à quelque 1000 blessures par année au pays, majoritairement des traumatismes crâniens, selon l’organisme SécuriJeunes Canada (aujourd’hui Parachute).

« L’utilisation d’une marchette présente divers risques de blessure pour les enfants, qui peuvent notamment faire une chute dans les escaliers pouvant entraîner des blessures ou la mort », avertit encore aujourd’hui Santé Canada au gré de rappels.

Malgré leur interdiction, les modules roulants demeurent responsables de nombreuses visites aux urgences chaque année au Canada, bien que leur nombre tende à diminuer.

Du 1er janvier 2004 au 12 janvier 2023, 202 blessures liées aux marchettes ont été enregistrées chez les 3 à 21 mois dans la base du Système canadien hospitalier d’information et de recherche en prévention des traumatismes, selon des données compilées pour La Presse. Seuls 20 hôpitaux sur plus d’un millier au pays alimentent cette banque de surveillance.

La majorité des blessures sont répertoriées dans la catégorie « traumatismes cérébraux » (129) et découlent de chutes dans les escaliers (169).

« Les enfants sont aussi plus susceptibles d’atteindre un verre de thé, par exemple, et d’être victimes de brûlures », explique Liane Fransblow, coordonnatrice de la traumatologie à l’Hôpital de Montréal pour enfants.

En plus d’être dangereuses, « les marchettes sont inutiles pour le développement psychomoteur de l’enfant, et sont même probablement nuisibles », avertit quant à lui l’Institut national de santé publique du Québec.

L’enceinte sur roues que nous avons commandée et reçue était de piètre qualité. Grâce à une recherche par image, nous avons pu la trouver en lot au prix unitaire d’environ 10 $ sur le grossiste chinois Alibaba.com. Le produit n’était accompagné d’aucun guide d’assemblage ni d’aucune mise en garde, par exemple sur les risques liés aux escaliers.

La loi « ignorée »

Joint par La Presse, le vendeur GuoJiaYi-gjy, qui proposait une marchette à Amazon.ca, a assuré qu’il ignorait la loi canadienne, avant de retirer son annonce.

Trois autres détaillants, PFpm shop, wqdBD et WQD wangds, nous ont fourni une réponse identique : « Nous avons un doute [au sujet de la loi canadienne], ont-ils écrit. Nous allons vérifier les règlements pertinents, et si le produit ne répond pas aux exigences, nous le supprimerons des rayons. »

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Exemples de marchettes qui étaient toujours offertes à Amazon.ca au moment de publier

Les marchettes recensées par La Presse à Amazon.ca ont été retirées au fil de nos questions à Santé Canada. Au moins quatre modèles sont réapparus sur le site dans les semaines suivantes. Ces annonces ont de nouveau été supprimées lorsque nous avons questionné le géant du commerce en ligne. Au moins dix nouveaux modèles s’étaient frayé un chemin sur la plateforme au moment de publier.

Les vendeurs qui sont présents chez Amazon sont tenus, par contrat, de faire en sorte que leurs produits respectent toutes les lois applicables et les politiques de conformité d’Amazon.

Ryma Boussoufa, porte-parole d’Amazon Canada, par courriel

Un programme de sécurité et de conformité « emploie diverses méthodes pour détecter et retirer en amont les références publiées sur Amazon.ca qui concernent des produits rappelés, interdits et non conformes », ajoute-t-elle.

Aussi sur l’internet

« Toute compagnie qui vend des produits au Canada a la responsabilité de s’assurer que son produit est conforme pour le marché canadien, explique Marius Foltea, inspecteur à la sécurité des produits de consommation pour Santé Canada. Que ça soit sur l’internet ou dans un magasin, la responsabilité est la même. »

De nombreuses enceintes demeurent accessibles aux Québécois sur les sites Amazon.com ou Amazon.fr, établis respectivement aux États-Unis et en France, deux pays où la vente de marchettes est autorisée, quoique controversée. Leur commercialisation devrait être prohibée comme c’est le cas au Canada, plaident l’Académie américaine de pédiatrie et l’Association européenne pour la sécurité des enfants.

Nos douaniers, par défaut, devraient interdire l’entrée d’une [marchette] à roulettes. Mais quand beaucoup de produits rentrent d’un peu partout, certains peuvent passer à travers les mailles.

Marius Foltea, inspecteur à la sécurité des produits de consommation pour Santé Canada

Le marché en ligne Wish, établi en Californie, affichait plusieurs youpalas lors de notre passage sur le site, mais à fort prix : tous coûtaient au-delà de 400 $. « Tous les commerçants de notre plateforme sont tenus de respecter les lois et les normes de sécurité locales partout où leurs marchandises sont vendues », a indiqué une porte-parole de Wish.

« Nous remercions La Presse de nous avoir fait part de ces inscriptions. Nous nous efforçons de les supprimer de toute urgence et mettons en place des mesures supplémentaires pour nous assurer qu’elles n’apparaissent plus. »

De son côté, la boutique en ligne Shopyfest.ca, située en Colombie-Britannique, proposait une quinzaine de modèles au moment de publier. L’entreprise n’a pas répondu à notre demande d’information.

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Exemples de marchettes offertes à Shopyfest.ca

Les plateformes eBay.ca et eBay.com semblent plus proactives vis-à-vis de la loi. Nos tentatives pour acheter une marchette sur ces sites ont été bloquées et suivies d’un avertissement : « Les marchettes pour bébés expédiées au Canada seront saisies aux douanes. À la demande de Santé Canada, eBay fournira toute information concernant l’achat de marchettes pour bébés par des acheteurs canadiens. »

Stores à cordes 

Un autre type de produits récemment interdit de vente au Canada était toujours facilement achetable en ligne : les stores à cordes. Au moins une dizaine de modèles non conformes étaient affichés à Amazon.ca au moment de notre magasinage.

En quelques clics, nous avons pu commander un couvre-fenêtres muni d’une chaîne à billes d’environ 150 centimètres, bien au-delà de la limite légale. La livraison du produit, identifié « Choix d’Amazon », était offerte gratuitement en un jour avec « Prime ».

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Store à cordes non conforme commandé sur Amazon.ca

Amazon a retiré ce produit précis après nos questions, mais d’autres modèles de la même marque, presque en tous points identiques, étaient toujours en vente. D’autres stores illégaux étaient proposés au moment de publier. Des modèles non conformes peuvent aussi être achetés sur Wish et Shopyfest.ca.

Depuis le 1er mai 2021, un couvre-fenêtre d’intérieur ne peut pas être muni d’une corde atteignable de plus de 22 centimètres. De facto, la loi a été mise en application un an plus tard, à l’été 2022.

« Au Canada, de nombreux rapports font état de décès par strangulation et d’incidents presque mortels causés par des stores et des couvre-fenêtres à longues cordes accessibles », écrit Santé Canada. Jusqu’en 2020, environ un bambin mourait chaque année au pays après avoir été étranglé par une corde de stores.

Le 10 avril dernier, un bambin serait mort en Beauce après s’être blessé avec le cordon de stores de fenêtre, selon des informations rapportées par Le Journal de Québec et Noovo.

Le store que nous avons reçu contenait un feuillet d’avertissement mentionnant des « risques de strangulation pour les enfants ». « Il faut que les cordes soient hors de portée des enfants pour éviter tout étranglement ou autre enroulement », y était-il écrit.

« Les détaillants ne peuvent vendre aucun type de store à cordes en indiquant qu’ils doivent être installés hors de la portée des enfants », explique toutefois Joshua Coke, responsable des relations avec les médias à Santé Canada.

Le règlement a justement été conçu pour « répondre à des incidents mettant en cause des couvre-fenêtres où des tout-petits et de jeunes enfants ont eu accès aux cordes d’une manière qui n’était pas prévue par la personne qui en prenait soin », précise-t-il.

M. Coke donne comme exemple des enfants qui s’étirent de tout leur long ou qui déplacent des meubles pour accéder aux cordons.

* Selon la Loi canadienne sur la sécurité des produits de consommation

Consultez la liste des produits interdits au Canada

Ce qui est visé par la loi

Marchette pour bébé qui est montée sur des roues ou d’autres objets en permettant le déplacement et qui comporte une enceinte maintenant le bébé en position assise ou debout, de sorte que ses pieds puissent toucher le sol et ainsi déplacer horizontalement la marchette.

Quoi faire ?

Bien qu’il ne soit pas interdit pour les Québécois d’acheter et de posséder des marchettes, Santé Canada recommande aux parents de les détruire sur-le-champ et de les mettre au rebut. Quant aux stores non conformes vendus après l’entrée en vigueur de la loi, il faut les retourner au commerçant et exiger un remboursement.

Que risquent les vendeurs de produits interdits ?

Par procédure sommaire : une amende maximale de 250 000 $ et/ou un emprisonnement de six mois

Par mise en accusation : une amende maximale de 5 000 000 $ et/ou un emprisonnement maximal de deux ans

Des produits rappelés sur les étagères

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La Presse a trouvé de nombreux produits rappelés en 2022 et en 2023 encore proposés par l’entremise de boutiques du Québec ou de marchés en ligne.

Les marchettes sur roues et les stores à cordes ne sont pas les seuls « vilains » identifiés par Santé Canada qui continuent de prospérer dans l’internet. La Presse a passé au crible plus de 20 « jeux et jouets » rappelés en 2022 et en 2023, et donc interdits de vente par le fabricant ou l’importateur.

Lors de notre magasinage, neuf d’entre eux étaient encore proposés par l’entremise de boutiques du Québec ou de marchés en ligne.

La loi canadienne qui vise les rappels est plus souple pour les détaillants que pour les autres acteurs de la chaîne commerciale. Elle prévoit qu’il est interdit à toute personne de vendre un produit de consommation si « elle sait » que celui-ci fait l’objet d’un avis, une condition difficile à prouver. L’importation d’un produit rappelé reste illégale en tout temps.

« Quand un avis de rappel est émis par Santé Canada, des inspecteurs sont présents auprès des distributeurs, des importateurs et des détaillants pour s’assurer que les produits sont vraiment retirés des étagères », indique Marius Foltea, inspecteur à la sécurité des produits de consommation pour Santé Canada.

Or, les campagnes d’information ne sont pas infaillibles. Au moins cinq articles faisant l’objet d’un rappel en raison de risques d’étouffement pour les bébés étaient toujours à la portée des Québécois. C’est le cas par exemple du hochet lumineux Hudson, de Kid O, dont les pattes peuvent se détacher du corps. Trois incidents ont été déclarés aux États-Unis.

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Le hochet lumineux Hudson, de Kid O, dont les pattes peuvent se détacher et causer des étouffements.

Nous avons pu obtenir le produit en ligne auprès de la chaîne québécoise de librairies Buropro Citation. Le jouet a été retiré à la suite de nos questions.

Des accessoires de sucette et de biberon offerts avec des figurines Calico Critters étaient toujours vendus chez Benjo, à Québec. Les petits objets ont causé la mort par étouffement de deux bambins, selon le manufacturier Epoch Everlasting Play.

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Des accessoires de sucette et de biberon offerts avec des figurines Calico Critters étaient toujours vendus chez Benjo,
à Québec.

Dans la majorité des cas, Santé Canada s’adresse aux fabricants ou aux distributeurs directement, qui eux s’adressent parfois aux représentants des ventes. Lorsqu’il y a trop d’intermédiaires, l’information ne se rend pas toujours à bon port.

Valérie Hamel, directrice et copropriétaire de Benjo

L’ensemble de jouets problématique était toujours en vente au moment de publier.

Les accessoires étaient aussi offerts dans les boutiques Raoul Chagnon, à Belœil et à Saint-Hyacinthe, ainsi qu’en ligne avant d’être retirés à la suite de notre demande d’information.

Micro-organismes infectieux

Du côté des jouets de dentition, un modèle d’Infantino et un autre de bblüv (Gümi) ont été retirés du marché puisqu’ils contenaient un liquide de remplissage contaminé par des micro-organismes potentiellement infectieux.

La Presse a pu se procurer ces produits sans mal, respectivement à partir des sites en ligne Shopyfest, qui n’a pas répondu à nos questionnements, et iHerb. « Nous continuons à examiner le problème en interne et à vérifier les informations relatives au rappel du jouet », a indiqué une représentante du détaillant américain de produits naturels.

  • Le jouet de dentition Gümi, de bblüv

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    Le jouet de dentition Gümi, de bblüv

  • Les anneaux de dentition d’Infantino

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    Les anneaux de dentition d’Infantino

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Une trottinette de la marque Jetson, la Blue Star, s’est quant à elle retrouvée dans des centres de liquidation du Québec – CHAP aubaines et Liquidation 125 Plus, par exemple – après avoir fait l’objet d’un rappel. L’une des roues « peut se détacher en raison du desserrage d’un boulon qui fixe la roue, créant un risque de chute », selon Santé Canada.

Dans tous ces exemples, les numéros de lots et d’articles correspondaient à ceux visés par les rappels.

Santé Canada invite les consommateurs à lui rapporter tout incident lié à un produit vendu au pays, qu’il fasse l’objet d’un avis ou non.

* Selon la Loi canadienne sur la sécurité des produits de consommation

Déclarez un incident à Santé Canada Découvrez si un produit fait l’objet d’un rappel

Marketplace, débarras des produits interdits

Les particuliers agissent eux aussi dans l’illégalité lorsqu’ils vendent ou donnent des produits interdits comme des marchettes et des stores à cordes sur des marchés de seconde main tels Marketplace et Kijiji. « Lorsqu’une personne crée une annonce sur Marketplace, elle affirme que l’annonce est conforme aux politiques commerciales de Facebook et à toutes les lois applicables », indique un porte-parole de Meta. « Nous collaborons avec les autorités locales, y compris Santé Canada, pour détecter et retirer les articles interdits. »

Marius Foltea, inspecteur au Ministère, assure que des employés font une veille proactive des annonces, et que plusieurs d’entre elles sont retirées au fur et à mesure. Il n’en demeure pas moins que les marchettes pour bébé prospèrent sur Marketplace ; elles s’y vendent rapidement et à fort prix. L’approche auprès des particuliers est davantage collaborative que punitive, souligne M. Foltea.

En ce qui concerne les objets rappelés, il s’agit de savoir si l’annonceur est au courant des avis de Santé Canada, un critère d’illégalité difficile à prouver. L’un des produits non conformes qui apparaît le plus souvent dans les petites annonces est le siège Bumbo sans courroie de sécurité. « Si votre siège de plancher ne comprend pas de ceinture de retenue [intégrée depuis 2012], votre produit a plus de cinq ans et sa durée de vie raisonnable est expirée », indique une porte-parole de l’entreprise sud-africaine. Ces produits sont donc périmés et dangereux. « Nous vous exhortons à cesser de les utiliser », poursuit-elle.

Que risquent les vendeurs de produits rappelés ?

Par procédure sommaire : pour une première infraction, une amende maximale de 500 000 $ et/ou un emprisonnement maximal de 18 mois

Par mise en accusation : une amende dont le montant est laissé à l’appréciation du tribunal et/ou un emprisonnement maximal de cinq ans

Par sanction administrative : maximum de 25 000 $