(Montréal) Un nombre croissant de demandeurs d’asile au Québec exerce une forte pression sur le réseau des services sociaux et communautaires, en particulier sur les refuges montréalais pour personnes en situation d’itinérance.

Les retards administratifs au fédéral dans le processus de demande d’asile et le manque de ressources des organismes communautaires qui s’occupent des réfugiés potentiels obligent cette clientèle vulnérable à se tourner vers les refuges pour personnes en situation d’itinérance, a souligné en entrevue France Labelle, qui a cofondé il y a une trentaine d’années le Refuge des jeunes de Montréal.

« Ce n’est pas qu’on ne veut pas accueillir ces personnes-là, parce que les organismes communautaires, on a une vocation d’accueil, d’accompagnement, une vocation humanitaire, mais c’est que le réseau est déjà saturé, a-t-elle dit. Et puis c’est l’hiver : déjà on manque de places. »

Mme Labelle a souligné que le Refuge des jeunes de Montréal recevait environ 500 personnes par année et que depuis le printemps, il a aidé 57 demandeurs d’asile. En 2021, le nombre de réfugiés potentiels cherchant refuge dans son organisation était beaucoup plus faible, a-t-elle déclaré, même si elle ne peut pas citer de chiffres officiels. Elle souligne que son refuge est actuellement au maximum de sa capacité.

Le gouvernement fédéral affirme qu’entre janvier et novembre de l’année dernière, 45 250 demandeurs d’asile sont arrivés au Québec. L’année précédente, 7290 candidats réfugiés étaient entrés au Canada par le Québec.

Sam Watts, PDG de la Mission Bon Accueil, a lui aussi constaté une augmentation au cours des derniers mois du nombre de demandeurs d’asile à la recherche d’un gîte au sein de son organisme. Il estime que l’itinérance au sein de la population de demandeurs d’asile à Montréal constitue un phénomène relativement nouveau.

Depuis le mois d’août dernier, les différents refuges de la Mission Bon Accueil reçoivent environ 37 demandeurs d’asile chaque mois, a-t-il mentionné. « Ça va jusqu’à 46 certains mois, et ces gens restent généralement entre 12 et 19 jours », a indiqué M Watts dans une entrevue récente.

« Je pense que je peux confirmer ce que tout le monde vous dira : ça a un impact sur l’ensemble des services, car même si nous servons environ 340 personnes chaque jour dans notre réseau, le fait qu’il y ait 40 personnes supplémentaires a un impact. On le voit et on le sent. »

Mme Labelle explique que la majorité des demandeurs d’asile à la recherche d’un abri dans son refuge sont arrivés par avion de pays comme la République démocratique du Congo, le Burundi ou le Sénégal. « Ce qui est en augmentation, un petit peu plus, ce sont les jeunes Mexicains, on a aussi de jeunes Haïtiens.

« Et les histoires sont différentes : certains sont ici pour fuir la guerre, d’autres fuient les trafiquants de drogue. Pour certains, cela a à voir avec leur orientation sexuelle […] Sur une cinquantaine de jeunes, on a décelé chez une quinzaine d’entre eux des problèmes de santé mentale qui nécessiteraient de l’aide et des soins. »

« Les gouvernements se renvoient la balle »

Sam Watts ajoute que la banque alimentaire de la Mission Bon Accueil a également connu une augmentation de la demande.

« Nous servions habituellement environ 6000 personnes chaque mois […] et ce chiffre est passé à 7000, et la moitié au moins de cette augmentation est attribuable à une variété de nouveaux arrivants. Il peut s’agir simplement de nouveaux arrivants dans la ville, mais beaucoup d’entre eux sont des réfugiés et des demandeurs d’asile (au Canada). »

Le Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile du Québec est chargé d’offrir des services aux candidats à l’asile tels que l’hébergement temporaire, les soins de santé et l’information sur le processus d’immigration. Les porte-parole de ce programme ont refusé une demande d’entrevue et ont renvoyé les questions au ministère fédéral de l’Immigration.

Or, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a déclaré dans un courriel que le logement des demandeurs d’asile demeure une responsabilité provinciale, ajoutant que le gouvernement fédéral s’était engagé à travailler avec les provinces pour aider à atténuer la pression.

Le premier ministre François Legault a affirmé le mois dernier que son gouvernement avait besoin de l’aide d’Ottawa pour loger, éduquer et intégrer au Québec un nombre croissant de demandeurs du statut de réfugié.

Catherine Pappas, directrice d’un organisme de développement communautaire dans l’arrondissement montréalais de Côte-des-Neiges, souligne que son quartier a été fortement touché par le nombre croissant de demandeurs d’asile qui ont besoin d’aide. Elle souhaite que le gouvernement intervienne avant que la situation ne devienne insoutenable.

« Il y a une déresponsabilisation des deux gouvernements, en fait : un renvoie la balle à l’autre, a dénoncé Mme Pappas mercredi. Donc, il n’y a pas beaucoup de coordination dans la gestion de cette crise-là – parce que c’est une crise ! Bon, est-ce que c’est une crise humanitaire ? C’est une crise sociale, clairement, qui est en train de se dessiner. »

Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière des Bourses de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.