Noël 2022 sera le premier depuis le début de la guerre en Ukraine. Comment célébreront les Ukrainiens réfugiés au Québec ou y vivant depuis un moment ? La Presse a discuté de ce Z Rizdvom Khrystovym (Joyeux Noël) pas comme les autres avec Katia, Maryna et Olha, trois étudiantes à l’Université de Montréal.

Dès le premier des douze coups de minuit, au Nouvel An, les Ukrainiens écrivent un vœu sur un bout de papier, y mettent le feu et jettent les cendres dans un verre de champagne qu’ils boivent avant la fin du douzième coup. Tout doit être fait à temps pour voir son vœu se réaliser.

« Au 1er janvier 2022, j’avais écrit ‟Paix en Ukraine”, raconte Katia Sviderska. Mais mon papier est tombé au sol. Je n’ai pas pu boire le champagne avec les cendres. Lorsque la guerre a commencé [le 24 février], j’ai repensé à cette histoire en me disant que c’était de ma faute. »

Katia rit. Juste un peu. Juste assez pour rappeler que son vœu raté n’est pas la cause de ce conflit insensé. Ce n’est pas la faute du champagne ; c’est la faute de Poutine.

Arrivée au Québec en 2006 et étudiante en première session à la maîtrise en science politique à l’Université de Montréal, Katia, 21 ans, a l’habitude de passer Noël avec sa mère, sa tante et sa cousine en célébrant les traditions ukrainiennes.

« On prépare les mets traditionnels, on met la table. Il est important d’accueillir les gens correctement. L’hospitalité est caractéristique des Ukrainiens », dit-elle.

PHOTO FOURNIE PAR KATIA SVIDERSKA

Katia Sviderska photographiée chez elle dans la région de Kherson, à l’hiver 2002-2003

Mais cette année fera peut-être exception, car Katia songe à se rendre à Kherson visiter ses grands-parents. « Comme la ville a été libérée, je vais peut-être y aller. Ça reste un point d’interrogation. Ça va dépendre de l’état de la situation. »

Maryna Khrennikova, arrivée au Québec au printemps 2022, et sa compatriote Olha Simoroz, à Montréal depuis l’été dernier, ne planifient pas un tel retour. Elles aussi étudiantes en science politique à l’UdeM et seules à Montréal, elles ont d’autres plans.

Pour des questions de visa, Maryna, originaire de Kharkiv, compte rester à Montréal. Olha songe à se rendre peut-être en Pologne pour visiter une tante.

« J’ai l’impression de vivre dans deux mondes », illustre Olha, 22 ans, dont les parents sont à Kyiv.

Il est difficile de profiter de la vie ici quand je sais que des roquettes et des bombes tombent sur ma ville natale. C’est devenu notre réalité. Pour moi, la communauté de l’université est devenue ma deuxième maison.

Olha Simoroz

Au moins, il y a l’internet et le téléphone. Les trois amies ukrainiennes comptent bien utiliser la technologie pour communiquer avec leurs proches. « Je parle avec ma famille chaque jour », note Maryna, 18 ans et parlant un excellent français pimenté de l’expression « c’est cool ! ».

« Je vais aussi contacter ma famille, mais je ne sais pas si je pourrai leur parler longtemps en raison des nombreuses pannes de courant, ajoute Olha. Avec les bombardements [les Russes ciblent les infrastructures énergétiques], on n’arrive pas toujours à conserver la connexion. »

Renouer avec le 25 décembre

Par tradition depuis leur arrivée au Canada, Katia et sa mère appellent la famille le 31 décembre à 17 h, heure de Montréal. « Parce qu’en Ukraine, il est minuit, rappelle-t-elle. Alors, nous fêtons deux fois ! »

Au cours des dernières décennies, les célébrations de fin d’année des Ukrainiens ont oscillé entre le Noël chrétien (25 décembre), le jour de l’An et le Noël orthodoxe du 7 janvier (calendrier julien).

La tradition de célébrer davantage le Nouvel An en Ukraine vient du fait que sous l’Union soviétique, la religion était pratiquement interdite. Comme le Nouvel An est plus laïque, on célébrait davantage.

Katia Sviderska

Néanmoins, elle se remémore son enfance où, le 7 janvier, « les enfants chantaient de petites chansons traditionnelles (kolyadki) aux personnes âgées en échange d’un peu d’argent ».

Voyez un extrait de kolyadki

PHOTO FOURNIE PAR OLHA SIMOROZ

Olha Simoroz avec son père Serhii et sa mère Svitlana à Noël en 2021

Idem chez Olha Simoroz. « Petite, ma mère me disait que la première étoile que je voyais dans le ciel, le soir du 6 janvier, signalait la naissance de Jésus. J’attendais près de la fenêtre pour l’apercevoir. Il fallait aussi que l’appartement soit bien nettoyé et qu’on ait 12 plats traditionnels, comme la koutia, sur la table. »

Depuis l’indépendance de l’Ukraine (24 août 1991), le pays recommence à célébrer Noël le 25 décembre. C’est une façon de prendre ses distances par rapport au Noël orthodoxe russe. D’ailleurs, le 18 octobre dernier, le synode de l’Église orthodoxe ukrainienne a autorisé ses fidèles à célébrer Noël le 25 décembre ou le 7 janvier, au choix.

Si elle demeure au Québec en fin d’année, Olha compte bien se rendre à la cathédrale orthodoxe de Sainte-Sophie pour une liturgie. « Des amis polonais m’ont aussi invitée à aller cuisiner des pierogis [plat typique polonais] le 24 décembre », confie-t-elle.

« Pour moi, il est intéressant de connaître les traditions du Québec, indique Maryna Khrennikova. Je veux donc faire quelque chose avec mes amies françaises et québécoises pour découvrir cette culture. Sinon, je vais aller chez Katia ! »

Sur cette boutade, les trois jeunes femmes s’esclaffent. Loin de la maison ou de la famille, Noël 2022 sera différent, mais il sera célébré.

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    Nombre de demandes approuvées du 17 mars au 30 novembre 2022 (sur un total de 715 177) pour des requêtes de résidence temporaire faites par des ressortissants ukrainiens
    source : affaires mondiales canada