L’antenne des services de renseignement canadiens au Québec est trop blanche au goût de ses patrons. Ceux-ci veulent recruter rapidement des espions issus de la diversité afin d’améliorer leur capacité d’action au sein de certaines communautés, à l’heure où l’ingérence de puissances étrangères comme la Chine les tient de plus en plus occupés.

Les organismes gouvernementaux et autres employeurs parlent souvent du besoin d’accroître la diversité au sein de leurs équipes, en mettant de l’avant le principe d’équité en matière d’accès à l’emploi. C’est aussi le cas au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS).

Mais au sein de l’organisme chargé de protéger la sécurité nationale, un autre aspect entre en jeu : l’efficacité opérationnelle sur le terrain.

Les agents secrets du SCRS apprennent à se fondre dans le décor pour débusquer des espions étrangers sur le sol canadien, pour combattre la prolifération d’armes de destruction massive ou repérer des terroristes en puissance. Et pour se fondre dans le décor, mieux vaut pouvoir compter sur un bassin d’agents dont l’apparence est représentative de la réalité du pays en 2022. Malgré des progrès notables au cours des dernières années, l’organisation reconnaît avoir encore du chemin à faire, notamment par rapport à ses effectifs au Québec.

Il s’agit d’une question très concrète de visibilité lors des opérations de filature ou d’infiltration, mais aussi d’une question de compétences culturelles, souligne le SCRS.

Le mandarin particulièrement demandé

« Il faut être capable de se mêler à une population diversifiée. Pour la région du Québec, nous cherchons des gens issus de groupes racisés et de la diversité en ce moment », a déclaré la directrice générale du SCRS pour la région du Québec lors d’un breffage avec La Presse cette semaine. La responsable devait s’exprimer sans utiliser son nom vu la nature hautement confidentielle de plusieurs de ses tâches.

Pour son bureau de Montréal, le SCRS cherche à recruter des agents de renseignements, des agents de filature et des analystes capables de décoder des conversations en langue étrangère. Les offres d’emploi affichées actuellement pour ce dernier poste soulignent les besoins en arabe, somali, farsi, kurde, sorani, russe, pendjabi, hindi, ourdou, bengali et espagnol. Mais les dirigeants de l’organisme ne cachent pas que le mandarin est particulièrement demandé.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Michelle Tessier, sous-directrice aux opérations du SCRS, de passage à la Commission sur l’état d’urgence, le 21 novembre dernier, à Ottawa

Le mois dernier, Michelle Tessier, sous-directrice aux opérations du SCRS, a déclaré devant un comité de la Chambre des communes que les services de renseignement canadiens sont « de plus en plus préoccupés » par les efforts de la Chine pour influencer la politique canadienne.

Ce sont des acteurs d’ingérence étrangère, et nous l’avons dit publiquement que nous sommes préoccupés par les activités en ce qui a trait aux menaces contre la sécurité du Canada, incluant l’ingérence étrangère par le Parti communiste chinois.

Michelle Tessier, sous-directrice aux opérations du SCRS, devant un comité de la Chambre des communes, le mois dernier

Le grand patron du SCRS, David Vigneault, a aussi déjà évoqué dans des discours publics les tentatives de la Chine pour voler des secrets technologiques et pour intimider des dissidents qui s’opposent au régime chinois sur le sol canadien. D’autres pays étrangers participent au même genre d’activités, a-t-il précisé.

Les mêmes menaces au Québec

Les menaces sont les mêmes au Québec qu’ailleurs au Canada, affirment les responsables du SCRS. Lors du breffage avec La Presse, ceux-ci ont souligné que l’ingérence étrangère et l’espionnage font partie de leur « pain quotidien », comme pour leurs collègues des autres régions.

L’embauche d’agents de différentes origines et d’agents qui parlent plusieurs langues peut d’ailleurs aider à maintenir de meilleurs liens avec les communautés susceptibles d’être visées par des campagnes d’influence ou d’intimidation de puissances étrangères, ainsi que par la menace de groupes extrémistes d’extrême droite, croit le SCRS.

Mais la compétition est forte pour recruter les perles rares en la matière. D’autres organisations ont des besoins semblables.

Le mois dernier, lors de l’enquête sur remise en liberté de Yuesheng Wang, un ressortissant chinois accusé d’espionnage économique chez Hydro-Québec, un policier de la Gendarmerie royale du Canada a impressionné plusieurs personnes dans l’assistance lorsqu’il s’est soudainement adressé en mandarin à une interprète présente au palais de justice. L’enquêteur Stacy Gagné a expliqué avoir eu à traduire beaucoup de documents en mandarin pendant l’enquête sur l’espionnage chez Hydro-Québec. Pour un non-initié, son accent semblait tout à fait fluide. Il a toutefois expliqué que même après des années d’études, il demeurait difficile pour lui de converser oralement dans cette langue.