Marie-France Sirois n’avait aucun lien avec l’Ukraine avant que son fils ne décide de partir combattre l’invasion russe. Elle s’en remet aujourd’hui aux Ukrainiens pour honorer la mémoire de son garçon mort au combat, alors que le Canada ne montre aucune intention de le faire, déplore-t-elle.

« Moi, je n’ai pas senti qu’on m’appuyait. C’est comme si c’était mal que mon fils se soit engagé dans l’armée ukrainienne pour venir en aide au peuple ukrainien », lâche Mme Sirois.

La mère de famille a accepté d’accorder une entrevue à La Presse pour parler de son deuil. Mais elle décrit aussi comment, en tant que parent d’un combattant étranger, elle s’est sentie laissée à elle-même après la mort de son fils.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Émile-Antoine Roy-Sirois et sa mère, Marie-France Sirois, lors du 30e anniversaire du jeune homme

Ce dernier, Émile-Antoine Roy-Sirois, est mort le 18 juillet en Ukraine alors qu’il combattait les Russes près de la ville de Siversk, dans la région de Donetsk. Lui et trois autres combattants étrangers – deux Américains et un Suédois – ont été tués par un tir de char d’assaut.

Selon plusieurs récits, Émile-Antoine est mort en portant secours à un Américain qui venait tout juste d’être blessé dans une offensive russe d’une rare intensité.

« Ce qui m’aide dans le deuil, c’est que je connaissais très bien mon fils. Je connaissais ses motivations, les raisons pour lesquelles il était là-bas, dit-elle. Je sais que c’est ce qu’il voulait, qu’il a été heureux là-bas, qu’il avait le sentiment du devoir accompli. »

Je pense qu’il croyait quand même qu’il reviendrait. Mais c’est la meilleure chose pour moi de me dire qu’il a été heureux jusqu’à la fin. Sinon, c’est moi qui ne survivrais pas.

Marie-France Sirois, à propos de son fils mort au combat

Émile-Antoine « n’était pas un militaire », note sa mère. Le jeune homme de 31 ans, qui a grandi dans le Bas-Saint-Laurent, avait plutôt étudié en philosophie, puis à HEC Montréal.

Il avait toutefois toujours été passionné par l’histoire et les conflits. En 2014, il avait même rejoint la Légion étrangère, un corps de l’armée française qui regroupe des soldats de diverses nationalités. Son passage n’avait duré que quelques mois, explique sa mère.

Quand la Russie a envahi l’Ukraine, il occupait un poste de spécialiste en expérience client dans une entreprise à Montréal.

Puis, fin février, le président ukrainien a lancé un appel aux volontaires étrangers. Malgré les avertissements d’Affaires mondiales Canada et des siens qui tentaient de l’en dissuader, il est parti pour l’Ukraine à la fin du mois de mars.

« Il m’a dit : “Maman, j’ai pris une grosse décision.” Tout le monde a essayé de le dissuader de partir. Mais il n’y avait rien à faire », explique sa mère.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Émile-Antoine Roy-Sirois, 31 ans, est mort le 18 juillet dernier en Ukraine.

« Je pense que c’est venu le chercher d’une façon innommable. Émile n’était pas quelqu’un de demi-mesures. Lorsqu’il a décidé qu’il en avait vu assez, il est parti. »

Rapatriement du corps

La mort de son fils a mis en branle une kyrielle de démarches pour rapatrier son corps. Elle dit s’être sentie abandonnée par Affaires mondiales Canada.

« Affaires mondiales Canada devait m’aider, mais rien ne se passait. À un moment, je leur ai demandé de s’occuper de moi », dit-elle.

La dame à Affaires mondiales Canada était très gentille, mais e​lle n’a pas vraiment pu m’aider. Elle disait que c’était à moi de traiter avec la maison funéraire là-bas. Elle m’appelait presque uniquement pour savoir comment j’allais. Ils ne s’en mêlaient pas.

Marie-France Sirois

Le consul d’Ukraine à Montréal a épaulé Mme Sirois. La maison funéraire et l’armée ukrainienne se sont finalement chargées de rapatrier la dépouille mortelle.

Pas une surprise

Selon l’historien militaire Tyler Wentzell, chercheur spécialisé dans le droit et l’histoire des combattants étrangers, la réaction des autorités canadiennes n’est pas une surprise.

« Les combattants étrangers ont toujours représenté un casse-tête pour les gouvernements, car ils vont habituellement à l’encontre de la politique officielle », indique l’auteur du livre Not for King or Country, à propos des volontaires canadiens ayant participé à la guerre civile espagnole.

Dans le cas de l’Ukraine, la ligne est mince, car le Canada appuie Kyiv, non seulement dans ses déclarations, mais en envoyant de l’argent et du matériel militaire. Ottawa a toutefois été très clair quant aux combattants, rappelle ce doctorant à l’Université de Toronto.

« Le gouvernement a été très clair : quiconque part là-bas y va en son nom personnel et non au nom du Canada », note Tyler Wentzell. « Plus le Canada accomplit des actions qui laissent croire qu’il soutient ou reconnaît ces soldats, plus il flirte dangereusement avec l’idée que ce sont des agents de l’État. »

La question de la reconnaissance

Une question demeure toutefois entière : comment seront honorés les Canadiens partis combattre en Ukraine à titre personnel ? M. Wentzell rappelle qu’il existe plusieurs monuments à la mémoire des volontaires canadiens partis combattre en Espagne entre 1936 et 1939. Ces derniers n’ont toutefois jamais été reconnus comme des anciens combattants par Ottawa.

Marie-France Sirois a commencé à réfléchir à cette question. Elle a décidé de se tourner vers l’Ukraine et la communauté ukrainienne au pays.

« Mes alliés, ce sont les Ukrainiens, et je vais aller avec eux pour la commémoration. L’urne, je l’ai ici et on n’a pas encore décidé ce qu’on en ferait, dit-elle. C’est avec eux que ça va se décider. J’aimerais qu’il y ait quelque chose, peut-être une plaque commémorative. »

Elle pense que le premier anniversaire de la mort de son fils serait un bon moment. « Ce serait merveilleux que ça coïncide avec la victoire de l’Ukraine. »