(Ottawa) Les entreprises canadiennes devront bientôt rendre des comptes sur les moyens qu’elles prennent pour contrer le recours au travail forcé ou au travail des enfants dans la fabrication de produits qu’elles importent.

Dans un geste rarissime, la Chambre des communes a adopté à l’unanimité (327-0), mercredi, le projet de loi S-211 portant sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement de la sénatrice indépendante Julie Miville-Dechêne lors du vote en deuxième lecture.

Le projet de loi, qui a donc été appuyé par les libéraux de Justin Trudeau, le Parti conservateur, le Bloc québécois, le NPD et le Parti vert, fera l’objet d’une étude par le comité des affaires étrangères des Communes.

Ce projet de loi, qui a déjà reçu l’aval du Sénat le 28 avril, obligera certaines institutions fédérales et des entreprises du secteur privé à soumettre un rapport annuel sur les mesures qu’elles prennent afin de « prévenir et atténuer le risque qu’elles aient recours au travail forcé ou au travail des enfants ou qu’il y soit fait recours dans leurs chaînes d’approvisionnement ».

« Je suis ravie », s’est exclamée au bout du fil la sénatrice Julie Miville-Dechêne, qui mène une croisade depuis sa nomination au Sénat il y a quatre ans contre le travail forcé et le trafic humain, en constatant le vote aux Communes.

Ce vote des députés survient aussi après la publication d’une série de reportages dans La Presse sur les conditions de travail difficiles d’employés qui sacrifient leur liberté et leur santé pour fabriquer des équipements de protection individuelle achetés en grande quantité par le Canada durant la pandémie alors que les entreprises qui les embauchent font fortune.

Ces reportages avaient notamment démontré que le Canada est plus tolérant que les États-Unis, par exemple, envers les fabricants de gants jetables soupçonnés de maltraiter leurs employés. En effet, plusieurs entreprises bannies par les autorités américaines ont pu continuer d’exporter au Canada.

Amendes et inspections

En vertu du projet de loi S-211, les entreprises qui seront visées par l’obligation de produire un rapport devront remplir deux des trois critères suivants : posséder des actifs d’au moins 20 millions de dollars ; avoir un chiffre d’affaires d’au moins 40 millions de dollars ; et employer en moyenne au moins 250 employés.

Le rapport annuel devra être approuvé par le conseil d’administration des entreprises ou leurs dirigeants. Celles qui omettront de produire un tel rapport ou qui fourniront de faux renseignements s’exposeront à des amendes salées pouvant atteindre 250 000 $.

Le projet de loi créera aussi un régime d’inspection applicable aux entités et donnera au ministre du Travail le pouvoir d’exiger qu’une entité lui fournisse certains renseignements. Enfin, il modifiera la Loi sur le Tarif des douanes afin de permettre l’interdiction d’importer des marchandises fabriquées ou produites, en tout ou en partie, par le recours au travail des enfants.

Une première étape

À la suite du vote aux Communes, le ministre du Travail, Seamus O’Regan, a fait savoir que le gouvernement compte proposer des amendements au projet de loi dans le but de renforcer certaines dispositions.

« Nous devons lutter contre le travail forcé dans nos chaînes d’approvisionnement. Le projet de loi S-211 est une première étape importante. Nous avons voté pour envoyer ce projet de loi en comité. Là, nous examinerons des amendements pour le renforcer », a indiqué le bureau du ministre dans un courriel à La Presse.

« Nous continuerons à travailler avec les parlementaires, les intervenants et nos partenaires internationaux pour adopter une loi qui sera efficace contre le travail forcé », a-t-on ajouté.

Rare projet de loi venant du Sénat

Il est plutôt rare qu’un projet de loi d’abord présenté par un sénateur ou une sénatrice aboutisse ainsi à la Chambre des communes. La sénatrice Miville-Dechêne a d’ailleurs dû faire preuve de détermination. Elle a présenté son projet de loi à trois reprises avant qu’il ne soit adopté au Sénat. Elle a tenu à saluer la collaboration du député libéral John MacKay, qui a parrainé le projet de loi aux Communes.

En entrevue avec La Presse, mercredi, la sénatrice a soutenu que son projet de loi représente une partie de la solution au fléau que constitue le recours au travail forcé ou au travail des enfants.

« Je suis très consciente que c’est un premier pas. C’est la première loi de transparence qui est adoptée de la sorte. Mais c’est le fruit d’une collaboration de tous les partis. […] Nous étions en retard par rapport à d’autres pays. Et là, on fait du rattrapage », a-t-elle fait valoir.

« Je crois que la combinaison de plusieurs facteurs – la pandémie, les scandales qui sont sortis et les minorités Ouïghours en Chine – a créé une pression sur le gouvernement fédéral », a-t-elle dit.