L’autonomie alimentaire, l’occupation du territoire et la vitalité des villages passent par l’agriculture de proximité, plaide un groupe d’environ 150 producteurs qui lancera d'ici la fin du mois un manifeste dans l’espoir de convaincre l’État d’investir massivement dans ce mode de culture en plein essor. À Québec, le ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, estime déjà apporter sa contribution.

Dans les campagnes du Québec, l’agriculture de proximité, dont la mise en marché s’opère en circuit court, souvent avec des paniers de légumes, a des effets positifs incroyables, soutient Émilie Viau-Drouin, présidente de la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique (CAPE), un regroupement de 148 fermiers.

« En embauchant, en achetant et en vendant localement, on a un grand impact sur le territoire, dit celle qui vient tout juste d’être choisie à la tête de l’organisme. L’agriculture de proximité est une solution à beaucoup de problèmes, tant par rapport à l’approvisionnement qu’à l’effritement des communautés. »

Un apport que constate aussi l’Union des producteurs agricoles (UPA). « Ce mode de culture là est arrivé du champ gauche, puis a essaimé et dynamisé nos régions », souligne son directeur général, Charles-Félix Ross.

« Les gens embarquent ! »

L’agriculture de proximité, biologique la plupart du temps, est en croissance depuis quelques années au Québec, et la pandémie lui a donné un nouvel élan. Environ 30 000 personnes sont aujourd’hui abonnées aux paniers du Réseau des fermiers de famille (RFF) de la CAPE, un chiffre qui a presque doublé en 5 ans.

« En 2020, les gens ont eu peur de manquer de nourriture et se sont tournés vers nous. Ç’a été une année record », observe Olivier Lamoureux, des Jardins de la résistance à Ormstown. À 400 paniers cette année, ce membre du RFF a doublé son offre depuis 2019. En payant d’avance, les abonnés n’ont pas à se soucier des effets de l’inflation, ajoute M. Lamoureux.

« On pensait peut-être, il y a cinq ou dix ans, qu’on était en train de saturer le marché, mais non », constate Émilie Viau-Drouin, qui travaille aussi aux Jardins de la grelinette à Saint-Armand. « Je le dis un peu à la blague, mais on pourrait être 10 000 nouveaux maraîchers et je n’aurais pas peur. Les gens embarquent ! »

Or, même si des campagnes comme le Panier bleu ont eu un effet mesurable, les gouvernements n’en font pas assez pour « le réel essor de la petite agriculture », estime Émilie Viau-Drouin, qui réclame un investissement public « massif ».

PHOTO FOURNIE PAR LA CAPE

Émilie Viau-Drouin, présidente de la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique

Pour remplir le territoire de petites fermes qui embauchent, il faut du financement récurrent et des subventions salariales… Et ça ne serait pas compliqué de soutenir l’agriculture biologique en remboursant la certification.

Émilie Viau-Drouin, présidente de la CAPE

L’État doit aussi aider les marchés de proximité, insiste la CAPE, qu’il s’agisse d’épiceries locales ou solidaires, de paniers ou de marchés publics. « Je veux des magasins généraux et des marchés dans toutes les municipalités. C’est ça qui fait vivre les villages, dit Mme Viau-Drouin. La France et les États-Unis le font bien. Ici, des producteurs tiennent ça à bout de bras. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

À 400 paniers cette année, les Jardins de la résistance ont doublé leur offre depuis 2019.

Si la pandémie a dopé les abonnements aux paniers, elle a été moins bénéfique pour ceux qui écoulent leur production dans les restaurants ou les marchés. « Le modèle fonctionne vraiment sur la relation avec les consommateurs, pas sur les volumes, rappelle Jean-Martin Fortier, un pionnier de l’agriculture de proximité. Depuis deux ans, dans les marchés, c’est l’enfer. Rencontrer quelqu’un avec un masque, un Plexiglas… la convivialité n’est plus là. »

Un allié… qui a ses limites

En entrevue, le ministre québécois de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, André Lamontagne, se décrit comme un allié de l’agriculture de proximité. « Dès mon arrivée, j’ai mis le spotlight là-dessus », dit-il, même s’il estime que ce secteur représente ici à peine 2,5 % de l’ensemble de l’activité agricole. Le ministre cite une série de mesures qu’il a mises de l’avant pour permettre aux petits producteurs de « gagner leur vie honorablement », dont une stratégie nationale d’achat des aliments et des politiques pour augmenter l’offre et la demande d’aliments locaux.

Mais le soutien de l’État a ses limites, ajoute-t-il. « Si ce qu’on me demande, c’est de faire à la place du monde, on n’est pas dans cette business-là. » Des subventions salariales ? « Ce n’est pas possible. » Le remboursement de la certification bio ? Non plus.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

André Lamontagne, ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation

Nous, on aide des entreprises à se convertir. Le consommateur est prêt à payer une prime pour du bio, c’est donc au marché de rétribuer cette pratique-là.

André Lamontagne, ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation

Québec a pourtant « un bout de chemin à faire », croit l’UPA, surtout pour ceux qui se lancent. Plus de la moitié des nouvelles exploitations ferment après 5 ans, même si, « à 40 %, le taux de succès en agriculture reste plus élevé que dans l’ensemble des industries, où c’est à peine 35 % », indique Charles-Félix Ross.

Jinny Marcotte, de la ferme Du coq à l’ail à Drummondville, fait partie de ceux qui ont abandonné la culture maraîchère bio-intensive. Après une seule saison. « La lourdeur avec le Ministère et la Financière agricole nous a démotivés », dit celle qui travaille aujourd’hui pour un concessionnaire automobile. « C’est la maison des fous. »

L’UPA suggère d’ailleurs à Québec d’offrir aux nouvelles exploitations un bassin de subventions plutôt que de les contraindre à faire des demandes chaque fois qu’elles ont besoin d’équipement. Une idée intéressante, reconnaît le ministre Lamontagne, qui évoque l’actualisation en cours des programmes de son ministère. « On peut faire plus et mieux avec l’argent qu’on a », dit-il.

Avec son manifeste, la CAPE s’adressera également aux consommateurs, dont les habitudes peuvent avoir des retombées majeures. L’agriculture de proximité, ajoute l’organisme, contribue aussi à réduire les émissions de carbone liées au transport des aliments et l’utilisation de pesticides néfastes pour l’environnement et la santé. « La maison brûle, et il faut des solutions lumineuses, conclut la présidente Émilie Viau-Drouin. On veut mobiliser la population et lui donner espoir. »

En savoir plus
  • 4442
    C’est le nombre d’exploitations agricoles qui produisent des fruits et des légumes au Québec (tous modes de culture confondus). De 2014 à 2021, leur nombre a crû de 11 %. Et la moitié de cette hausse a été observée entre 2020 et 2021. Selon le ministre André Lamontagne, l’agriculture de proximité explique en grande partie cette augmentation.
    Source : Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec
    100 km
    En 2020-2021, 87 % des fermes membres de la CAPE desservaient leur clientèle dans un rayon de moins de 100 km. Et 63 %, dans un rayon de moins de 50 km autour de leurs installations.
    SOURCE : Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique