Québec a lancé vendredi un projet pilote d’implantation de « bandes rugueuses » sur l’accotement en bordure de voies cyclables, afin de sécuriser celles-ci. Mais l’initiative reçoit un accueil mitigé, certains s'inquiétant du danger que représentent ces aménagements.

« Les bandes rugueuses ont fait leurs preuves au cours des dernières années en matière de sécurité routière : elles contribuent à sauver des vies et à réduire le nombre d’accidents », martèle le cabinet du ministre des Transports, François Bonnardel, précisant que « plusieurs provinces et États américains » ont déjà implanté le même genre d’aménagements.

Ces lignes ondulées sur la chaussée, qu’on aperçoit souvent sur des autoroutes, émettent un son lourd et grave lorsqu’un conducteur « somnolent » ou « distrait » sort de sa voie. Le gouvernement affirme que ces installations contribueront à « réduire les sorties de route » et à sécuriser les pistes cyclables.

De premières bandes rugueuses ont été installées sur le boulevard Pierre-Laporte, à Granby, sur 4,5 kilomètres. Le coût de l’opération est de 20 000 $. Si tout se passe comme prévu, d’autres interventions auront lieu l’an prochain au Saguenay–Lac-Saint-Jean, sur la route 170, et en Chaudière-Appalaches, sur la route 132.

Québec n’exclut pas d’étendre l’initiative à d’autres villes si les résultats sont concluants. « On vise d’abord à valider la faisabilité et préciser les conditions favorables pour le déploiement de telles implantations », indique l’attachée de presse du ministre des Transports, Florence Plourde. Elle soutient qu’à l’issue de ce projet pilote le MTQ sera en mesure « d’être plus précis sur un éventuel déploiement ».

« Beaucoup de réserves » à Vélo Québec

Jointe par La Presse, la présidente de Vélo Québec, Suzanne Lareau, ne se dit « pas très enthousiaste à l’idée ». « C’est une mesure qu’on n’utilise pratiquement pas ici, puisque quand un cycliste traverse une bande rugueuse, ça peut être très déstabilisant », soutient-elle.

Ça peut facilement faire chuter un cycliste qui n’est pas habitué. L’autre défaut, c’est que ça vient réduire la largeur de l’accotement et accélérer sa dégradation.

Suzanne Lareau, présidente de Vélo Québec

Pour être sécuritaire, la bande doit être implantée sur « un accotement très large », soulève Mme Lareau. « Il faut laisser un espace de 1,5 mètre libre de tout obstacle pour rouler. Ça implique aussi de peindre une ligne de couleur de chaque côté, pour éviter la confusion. Bref, ça ne peut pas s’installer n’importe où », dit-elle. Selon elle, Québec risque de constater « plusieurs inconvénients » à l’issue de son projet pilote. « La bande rugueuse n’est pas une panacée pour les cyclistes », ajoute la présidente de Vélo Québec.

Chez Vélo fantôme, le porte-parole Laurent Deslauriers parle d’une mesure intéressante, mais insiste lui aussi sur le contexte. Il cite le cas de Marie Bélanger, une cycliste qui a perdu la vie sur la route 117 à Mirabel, en 2014. « Les bandes rugueuses l’auraient peut-être sauvée, mais ça prend des conditions particulières parce qu’autrement, elles peuvent aussi créer des chutes très graves », avance-t-il.

« En réalité, ça prend des critères qu’on ne remplit pas au Québec selon les normes actuelles », ajoute M. Deslauriers. Il rappelle que les bandes doivent être intermittentes pour permettre de s’insérer dans l’accotement, et que ce dernier doit être nettoyé « régulièrement ».

Un employé du MTQ affirme qu’il faudrait surtout s’assurer que l’ingénieur responsable soit lui-même cycliste. « S’il ne fait pas de vélo, il ne verra pas les problèmes », dit-il sous le couvert de l’anonymat. « À la base, les normes pour les bandes rugueuses ont été écrites pour des autoroutes », note-t-il.

Pierre Lavoie appuie Québec

De son côté, le cofondateur du Grand défi Pierre Lavoie (GDPL), Pierre Lavoie, appuie Québec dans ses démarches. « Quand elles sont bien faites, les bandes rugueuses sont un des moyens les plus efficaces pour protéger les cyclistes. […] La rognure utilisée au Québec est le modèle autoroute. Ce n’est pas du tout conçu pour tous les usagers. Le pilote va justement permettre de tester les bons modèles », rétorque-t-il.

Je préfère rouler avec moins d’espace en bordure, mais avec une protection, plutôt que de rouler avec 1,5 mètre sans protection.

Pierre Lavoie, cofondateur du GDPL

M. Lavoie, qui dit avoir milité pendant des années « à faire de nos routes un oasis pour tous les usagers », affirme que la rigidité du MTQ « était parfois désespérante » par le passé. « Maintenant qu’on a un ministre qui ose pour faire avancer son ministère, j’aimerais dire à mes acolytes de laisser une chance avant de critiquer des initiatives qui, selon moi, vont faire toute une différence », conclut-il.