La scène était drôle et touchante à la fois. Le commissaire Joseph Zayed, chargé de présider les audiences sur le tracé de la voie de contournement à Lac-Mégantic, l’a présentée solennellement. Il a dit : « Madame Arielle Lacroix ! »

Et, là, on a aperçu derrière le micro une fillette dont la frange tombait sur ses yeux noisette. « Madame Arielle Lacroix » a alors dit : « J’ai 11 ans et je fais partie des 50 enfants [vivant près] du gros développement de Nantes. »

Arielle fait partie des 45 citoyens et citoyennes qui, mardi et hier, sont venus présenter un mémoire afin d’offrir leur vision et leur opinion quant à cet important projet devant le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Ce projet aura des répercussions importantes sur la vie des habitants de Lac-Mégantic, mais aussi sur celle des résidants de Frontenac et de Nantes.

« Il y a une garderie dans ce coin-là, pas juste des terres agricoles », a ajouté Arielle, lors de sa présentation. La fillette a ensuite évoqué le terrain adjacent à une cabane à sucre où plusieurs enfants aiment jouer.

Alors qu’une bonne partie des Québécois ont pris la route des vacances, les citoyens de Lac-Mégantic et des environs ressassent de mauvais souvenirs. Une seconde ronde d’audiences (une première ronde a eu lieu en juin) s’est déroulée cette semaine afin que ce projet satisfasse l’ensemble des citoyens.

La nouvelle voie proposée, d’une douzaine de kilomètres de long, contournerait le centre-ville de Lac-Mégantic et traverserait les municipalités de Frontenac et de Nantes. C’est dans cette dernière municipalité que le bât blesse, car le nouveau tracé limiterait, selon certains observateurs, la promotion immobilière. D’autres croient qu’il représente un danger pour la population de ce secteur et qu’il devrait être amélioré.

Arielle propose qu’on dépense « un peu plus de sous » pour faire passer la voie « l’autre bord de la route ». La jeune fille fait partie de ceux qui trouvent que la nouvelle voie ferrée passerait trop près de certaines installations.

« J’ai juste 11 ans, je pense comprendre ça et je me demande pourquoi les dirigeants ne comprennent pas ça », a dit Arielle.

La construction de la voie coûterait 133 millions. Elle serait assumée à 60 % par le gouvernement fédéral et à 40 % par le gouvernement provincial. Des modifications à son tracé feraient grimper la facture de quelques millions.

Certains pourraient croire qu’Arielle a été manipulée par sa mère, Josée Morin, elle-même très préoccupée par les répercussions de ce projet. Son conjoint, Sylvain Côté, et elle ont d’ailleurs présenté tous les deux un mémoire au cours de ces audiences.

Josée Morin est formelle : l’initiative vient entièrement d’Arielle. « Elle m’a demandé si les enfants pouvaient venir présenter un mémoire, m’a-t-elle raconté hier. Je lui ai dit que je ne pensais pas. » La famille s’est ensuite renseignée auprès de personnes informées qui lui ont dit qu’Arielle pouvait venir présenter son point de vue.

« Je trouvais ça important d’aller m’exprimer là-dessus », m’a confié Arielle. Celle qui n’avait que 5 ans lorsque la tragédie s’est produite à Lac-Mégantic était nerveuse au moment de présenter son mémoire. « Mais, en même temps, je sentais qu’il fallait que je le fasse. »

Dans son mémoire, Arielle rappelle que des enfants seront touchés par ce projet. Elle a écrit qu’elle voulait montrer le visage de l’un de ces enfants à ceux qui devront prendre une décision.

Depuis des mois, Arielle entend sa mère et son conjoint discuter de ce projet. À la suite de l’accident de 2013, Josée Morin a fait l’acquisition d’un terrain à Nantes. « Je voulais quitter la ville », dit-elle. Le couple s’apprêtait à se lancer dans un projet de construction lorsqu’il a pris connaissance du nouveau tracé. Celui-ci passera, selon les plans, sur leur terrain. Tout a été arrêté. Seule la partie du terrain où passerait le tracé leur serait remboursée.

Ils espèrent que les mémoires présentés cette semaine feront modifier le tracé. Peut-être que le rôle joué par Arielle fera pencher la balance en leur faveur. En tout cas, la présentation de la fillette a paru toucher le commissaire Joseph Zayed. En la vouvoyant, il s’est adressé à elle à la fin de son allocution. Il a confié qu’il avait un petit-fils du même âge qu’Arielle et que s’il imitait le geste de la jeune fille, il en serait très fier.

Un peu partout dans le monde, des voix de plus en plus jeunes, de plus en plus fraîches s’élèvent pour exprimer leur désarroi ou leur inquiétude face à l’avenir de la planète. Une planète sur laquelle ces jeunes vivront plus longtemps que nous. Certains, comme la jeune militante écologiste suédoise Greta Thunberg, se font accuser d’être des marionnettes à la solde d’intérêts contrôlés par de puissants et machiavéliques adultes.

Il est facile de le croire, quand on fait face à certains discours. Mais on peut aussi penser que ces enfants le font avec beaucoup de conviction. Avec leurs propres convictions. Ces jeunes sont nés et ont grandi dans un monde où l’opinion est reine. Il est normal qu’ils soient pris de l’envie de s’exprimer en bas âge.

Et, entre vous et moi, entre des opinions à l’emporte-pièce (comprendre ici des niaiseries) publiées sur les réseaux sociaux et un mémoire présenté devant une commission sérieuse, je préférais nettement que mon enfant opte pour le second scénario. Pas vous ?