Les temps changent pour les conjoints de fait et la jurisprudence des dernières années facilite un peu la vie à ceux qui veulent obtenir une compensation financière de leurs ex-partenaires, analyse un juge dans une décision récente.

Il a ainsi octroyé à une femme non mariée une somme de plus de 2,3 millions parce qu'il juge qu'elle s'est appauvrie en s'occupant de la famille et de la maisonnée, alors que cela avait permis à son ex de se concentrer sur ses entreprises et de devenir multimillionnaire. L'indemnité totale à laquelle la femme avait droit était de 3,4 millions, selon les calculs du juge, mais il a déduit de cette somme certains avantages financiers qu'elle a reçus ou conservés, pour en arriver à ce 2,3 millions que l'homme devra payer.

Les droits des ex-conjoints de fait au moment de la séparation ont été sur la sellette au moment de la célèbre cause « Éric et Lola ». Quelques années plus tard, ils continuent d'évoluer au Québec, écrit le juge Robert Mongeon, de la Cour supérieure, dans une décision récente rendue en septembre.

Car les conjoints de fait ne bénéficient pas de certaines protections réservées aux couples mariés, notamment en cas de séparation ou de décès. Par exemple, un conjoint de fait n'a pas le droit au partage des biens en cas de séparation, pas plus qu'à une pension alimentaire pour lui-même.

Comment la femme, dans ce cas, a-t-elle ainsi obtenu cette compensation de plus de 2 millions ? En plaidant l'enrichissement injustifié. Il n'est pas question de pension alimentaire dans ce jugement.

« L'assouplissement des critères d'octroi d'une compensation entre conjoints de fait n'a qu'un seul but : trouver un moyen de faire coller le droit à la réalité socio-économique du XXIe siècle », écrit le juge Mongeon.

En 2018, tous - sauf, semble-t-il, le Législateur, écrit le magistrat - s'accordent à dire que les conjoints de fait ont droit à une meilleure protection et à une plus grande reconnaissance de leurs droits de la part du système judiciaire.

Dans le présent cas, le couple a passé 16 ans de leur vie ensemble et ont eu deux enfants.

Alors qu'au début de leur vie de couple ils gagnaient tous deux comme employés des salaires décrits comme « modestes » par le juge, Monsieur a créé deux entreprises et un produit qui fera sa fortune. Au moment de la séparation, il valait 17 millions, une somme qu'il fera aussi fructifier par la suite, relève le magistrat. Madame a travaillé tout ce temps, sauf pendant ses congés de maternité.

Lorsque Monsieur s'est lancé en affaire, les débuts ont été difficiles et les revenus de sa conjointe ont aidé à garder le ménage à flot. En plus, elle s'occupait beaucoup des enfants parce que Monsieur travaillait très fort au développement de son entreprise de l'époque.

En raison de son succès en affaires, Monsieur reconnaît qu'à compter du milieu des années 2000, il ne travaille presque plus, qu'il « s'entraîne et fait la belle vie ». Mais il se plaint qu'au même moment, Madame veuille faire le choix de ralentir son rythme de travail à l'extérieur ou même cesser complètement de travailler. Il n'est pas d'accord. Il veut que Madame garde son emploi avec sécurité d'emploi et régime de retraite et lui offre de payer nounou et femme de ménage. « Monsieur craint que Madame ne devienne dépendante de lui financièrement », est-il rapporté par le magistrat.

Après la séparation, Monsieur a fait valoir que Madame n'était pour rien dans son succès financier et donc qu'il ne lui devait rien, lit-on dans la décision.

Le juge Mongeon écarte ses arguments : n'eût été de la présence de Madame et de son engagement envers son conjoint, ses enfants et la maison, il est clair que Monsieur n'aurait pu consacrer autant de temps et d'énergie à créer ce qui le rendra multimillionnaire, tranche-t-il. Surtout s'il avait fallu qu'il assume seul la responsabilité de deux enfants en bas âge au cours de la même période, en plus de toutes les tâches reliées au fonctionnement de la maison, souligne-t-il.

Il a donc accordé à Madame 20 % de la valeur, en date de la séparation, des actifs de son ex-conjoint, moins certains ajustements en raison des avantages qu'elle a reçus. Il en arrive ainsi à une indemnité de 2,3 millions au titre de l'enrichissement injustifié.