Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) n'avait pas le droit de refuser d'embaucher, comme il l'a fait en 1995, une candidate au poste de policière qui avait reconnu sa culpabilité à une accusation de vol à l'étalage et qui avait obtenu un pardon. En rendant ce jugement, la Cour suprême du Canada met un terme à une cause vieille de près de 15 ans.

Le 28 août 1990, la plaignante, désignée sous les initiales S.N., avait été prise à voler pour environ 200$ de vêtements dans un magasin La Baie. Elle a plaidé coupable à une accusation de vol en 1991 et le juge l'a absoute, ce qui lui donnait accès à un pardon au bout de trois ans.

Près de cinq ans plus tard, en 1995, S.N. postule pour devenir policière au SPVM. Sa candidature est rejetée au motif qu'elle ne satisfait pas au critère des «bonnes moeurs». S.N. porte alors plainte à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, qui décide de l'appuyer dans sa cause.

Dans le jugement rendu hier par la Cour suprême, une majorité de six juges confirme les décisions du Tribunal des droits de la personne du Québec et de la Cour d'appel.

Le SPVM n'aura pas à embaucher la plaignante, aujourd'hui âgée de 39 ans, qui ne souhaite plus faire carrière dans les forces de l'ordre. Mais il devra lui verser environ 5000$ pour dommages moraux, ainsi que l'avait décidé le Tribunal des droits de la personne.

«Rappel à l'ordre»

Au nom de la majorité, la juge Marie Deschamps a rappelé qu'une absolution conditionnelle peut donner lieu à un pardon. Elle a précisé qu'un employeur qui, sur la base de ces antécédents judiciaires, refuse un candidat qui a obtenu son pardon contrevient à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Elle a enfin indiqué que, dans les circonstances, ce seul antécédent était insuffisant pour décider que la candidate n'avait pas de «bonnes moeurs», l'un des critères d'embauche du SPVM à l'époque.

«Ces faits n'avaient pas à être exclus de l'examen de la candidature de S.N., mais ils ne pouvaient constituer l'unique motif pour l'exclure», a souligné la juge Deschamps.

La Commission des droits de la personne, qui a représenté S.N. jusqu'en Cour suprême, s'est réjouie de ce jugement, dont les répercussions dépassent le strict cadre policier, selon son vice-président, Marc-André Dowd.

«On en connaît, des compagnies qui n'embauchent personne ayant un casier criminel, a-t-il dit. La décision vient les rappeler sérieusement à l'ordre. Elles vont avoir beaucoup de difficulté à justifier une telle politique.»

Sans être très répandu, ce type de plainte existe toujours au Québec. Pour l'année 2006-2007, 18 des 414 plaintes portées à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse touchaient la discrimination fondée sur des antécédents judiciaires. Par ailleurs, le Tribunal des droits de la personne est saisi d'une cause semblable impliquant aussi un corps policier.

«Le SPVM analyse présentement le jugement rendu par la Cour suprême et ce, afin d'évaluer la portée du contenu et l'impact potentiel de cette décision sur les méthodes d'embauche et de sélection présentement en place», a indiqué le corps policier hier par voie de communiqué.

«Le SPVM note que la Cour suprême du Canada rappelle qu'un employeur peut tenir compte, dans le cas où c'est pertinent, du passé d'un candidat qui postule à un emploi de policier», a-t-il ajouté.

L'importance du pardon

Cette cause en rappelle une autre, l'affaire Therrien, dans laquelle la Cour suprême avait rendu jugement en 2001. Le tribunal de dernière instance avait alors donné raison au Conseil de la magistrature du Québec, qui avait destitué un juge, Richard Therrien, au motif qu'il avait caché ses antécédents judiciaires.

En 1970, M. Therrien avait été condamné à un an d'emprisonnement pour avoir illégalement aidé quatre membres du Front de libération du Québec (FLQ).

L'avocat Julius Grey se souvient très bien de cette cause: il représentait deux intervenants dans le dossier. Hier, Me Grey s'est dit heureux de voir que la Cour suprême, en cette ère de grande sévérité, a fait une place au pardon. «Nous vivons dans une société où tout acte a des répercussions pour toujours avec l'internet ou d'autres outils», a-t-il dit.

«Si le pardon et si l'absolution ont pour effet d'empêcher quelqu'un de s'en servir, à ce moment-là, c'est une société inexorable», a-t-il ajouté.

«Cette décision est probablement un premier pas vers la correction de ce caractère inexorable, a conclu Julius Grey. Notre société commençait à être vraiment macabre sur ces questions-là.»