Ron Fournier entre dans les bureaux du 98,5 FM et, déjà, le moulin à paroles s'active. Une tape sur l'épaule de Mario Tremblay, qu'il croise. Un «salut, boss» à un collègue. «Hola Maria, como estas?», demande-t-il à la préposée à l'entretien.

L'homme de radio insiste: il n'est pas un personnage. Celui qu'on entend sur les ondes depuis 1987 est le même dans la vraie vie, un peu fou, un peu verbomoteur, pas mal sympathique.

Parfois, sa femme l'écoute à la radio et lui reproche d'être survolté. «T'avais l'air nerveux, excité en ondes», souligne Chantale.

Ron Fournier n'en prend pas ombrage. «Tu le sais, des fois, on prend un souper entre amis et je gesticule de la même façon, qu'il lui répond. Et je me lève et faut que tu me dises quatre fois: "Calme-toi, calme-toi." Le jour où je vais me calmer, je vais être mort!»

Sauf que Fournier n'est pas prêt d'être mort ni de se calmer. À 65 ans, le populaire animateur vient de signer une prolongation de contrat de cinq ans avec le 98,5 FM. S'il se rend à la fin de l'entente, il aura 70 ans et sera toujours à la barre de Bonsoir les sportifs.

«Quand j'avais 30 ans et que je regardais les gens de 65 ans, je me disais qu'ils pourraient peut-être prendre leur retraite et laisser la place aux jeunes, se souvient Fournier. Comme un hockeyeur, je veux arrêter au bon moment. Je ne veux pas étirer l'élastique. Si Chantale me disait: "T'es redondant, t'es plate, t'as l'air fatigué..." Tabarouette, le signe serait là.»

Ron Fournier est toujours le roi des ondes en soirée. Son émission - la plus vieille émission de radio au pays - est toujours la plus écoutée en soirée à Montréal. Elle est devenue au fil des ans plus qu'une simple tribune téléphonique de sport. Elle est devenue une sorte de thérapie pour des milliers d'amateurs de sport.

La semaine dernière, un chasseur l'a appelé de son chalet perdu pour parler du Canadien, le sujet souverain de Bonsoir les sportifs.

«Je suis un accompagnateur. L'accompagnateur du gars qui est dans son auto et doit faire Montréal-Québec de soir, l'accompagnateur du camionneur. Maintenant, avec l'internet, je suis l'accompagnateur de tous les expatriés, comme le gars qui part travailler dans le pétrole en Alberta et qui veut des nouvelles du Canadien, explique celui qu'on appelle simplement Ron. Je suis l'accompagnateur de la fille qui travaille de soir dans un hôpital ou de celle qui souffre d'insomnie. Je suis l'accompagnateur du gars en dedans, parce que le soir en prison, y a pas grand-chose à faire à part écouter Ron.»

La radio ou le golf

En 1987, Ron Fournier démissionne de son poste d'arbitre dans la LNH. Il ne progresse pas comme il le souhaite. Il a du mal avec ses supérieurs. Après avoir annoncé sa décision à son patron, il prend un avion de Toronto à Montréal.

«J'étais assis dans le fond du DC-9 et je braillais comme un kid. Je me demandais si je faisais la bonne affaire, si j'étais en dépression, je me posais des questions. Mais en fait, j'avais simplement réalisé que le temps était venu de passer à autre chose.»

Il ne se doutait pas de la carrière qui l'attendait. Son premier job à la radio est venu la même année, sur les ondes de CJMS. «Les patrons voulaient une émission de sport en soirée», se rappelle-t-il.

À sa première émission, il ne recevait pas d'appels. Fournier s'est mis à raconter sa vie. Il était à court d'anecdotes quand le téléphone a finalement sonné. Ce sera le seul appel de sa soirée. Il apprendra le lendemain qu'il provenait de son frère, qui avait modifié sa voix pour ne pas se faire reconnaître.

Presque 30 ans plus tard, Fournier anime une émission devenue classique. Lui-même a pris la stature d'une légende. Et les appels ne se font plus attendre. «Les appels, c'est une surprise. Je ne sais jamais qui va m'appeler. Un soir après un match, alors qu'il était encore entraîneur du Canadien, Guy Carbonneau m'a appelé pour me corriger sur un point.»

Ron a toujours le feu sacré. Mais il ne rajeunit pas. Depuis 13 ans, il travaille quatre soirs par semaine. «Les boss aimeraient que je travaille cinq jours semaine mais (quatre jours), ça me permet de rester sharp», dit-il. Il passe sa longue fin de semaine dans les Laurentides, dans sa maison principale.

«Plutôt que d'être à Scottsdale, en Arizona, à jouer au golf avec mes amis tout l'hiver, ou en Floride quelque part, ben je suis encore à la job», dit-il.

Si tout va bien, Ron Fournier sera encore à la barre de Bonsoir les sportifs à l'âge de 70 ans. «Pas pire, pas pire, pas pire», comme il dirait.

«Je viens de signer pour cinq ans. J'ai toujours une porte de sortie si je n'ai plus la passion, le désir ou l'ardeur. Je peux quitter. Mais au moins, je sais que c'est ici, à Bonsoir les sportifs, que ça va se passer.»

Le jeudi à minuit, après son émission, Ron prend la route du Nord. Il part refaire ses forces pour la semaine suivante, pour de nouveau parler du Canadien comme un verbomoteur, pour assurer son rôle d'accompagnateur dont la voix résonne sur un chantier en Alberta, dans une voiture à La Tuque ou dans une cellule de prison.

Pour de nombreux amateurs de sport, il est difficile d'imaginer le jour où la voix de Ron Fournier cessera de résonner dans la nuit. Ce jour viendra. Mais en attendant, il y a des matchs qui l'attendent, des appels à prendre et des nuits à meubler. Non, Ron Fournier n'a pas dit son dernier mot.