Bougie d’allumage de l’équipe canadienne de natation à Rio, Penny Oleksiak est devenue, à son corps défendant, une icône canadienne à son retour au pays. À 16 ans, elle n’était pas prête pour ce déferlement soudain d’attention. Cinq ans plus tard, elle revient sur cette période trouble, qu’elle a mise derrière elle.

Ce qu’une course peut changer. Penny Oleksiak n’avait pas nagé aussi vite depuis sa médaille d’or aux Jeux olympiques de Rio, où elle est devenue une icône canadienne à l’âge de 16 ans.

Cinq ans plus tard, la voilà au bout du corridor du Centre sportif panaméricain de Toronto, où viennent de se conclure les essais canadiens pour Tokyo. Après un 200 m libre couci-couça, Penny vient de flirter avec ses meilleurs temps depuis Rio au 100 m.

La Torontoise est de belle humeur. « Certainement beaucoup plus heureuse que je ne l’ai été ces trois ou quatre dernières années », précise-t-elle en entrevue, son sourire caché par le masque qu’elle doit porter.

PHOTO FRANK GUNN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Penny Oleksiak, après avoir remporté le 100 m libre lors des essais olympiques de juin dernier

Penny Oleksiak revient de loin. Les cinq années depuis ses quatre médailles à Rio, un sommet canadien à des JO d’été, ont été éprouvantes. La jeune femme a dévoilé l’amplitude de sa détresse dans une publication sur son compte Instagram, suivi par plus de 90 000 abonnés, le jour de son 21anniversaire, le 13 juin dernier.

Anxiété. Dépression. Trouble alimentaire. Trouble obsessionnel compulsif. Relation abusive. « C’est la première fois depuis un moment que je n’ai pas pleuré à ma fête », a-t-elle écrit en guise d’introduction.

Je suis fière de moi, de ce que j’ai accompli. Ça faisait juste du bien de sortir ça. De faire savoir aux gens où j’en suis et que je suis heureuse.

Penny Oleksiak

Pendant des années, elle s’est appliquée à proposer une bonne humeur factice face aux caméras. « Je pense que je suis devenue très bonne à simuler un sourire pour les médias et les commanditaires et des choses comme ça ! Mes proches savaient que c’était faux pendant un moment. »

Sortir d’une période trouble

La porte-drapeau du Canada à la cérémonie de clôture dit avoir été surprise de se retrouver brutalement sous les projecteurs à son retour du Brésil. De nature réservée, elle en a souffert.

PHOTO FRANK GUNN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Penny Oleksiak présentant sa médaille d’argent remportée au 100 m papillon à Rio. En 2016, la nageuse a également gagné l’or au 100 m libre, ainsi que le bronze au relais 4 x 200 m et au relais 4 x 100 m.

« À 16 ans, vous avez cette image et cette vibe de golden girl, très gentille, très mignonne. Je ne sais pas. J’avais le sentiment que ce n’était pas vraiment moi. J’aime être dans mes affaires, avec mes amis, très discrète. C’était donc étrange, assurément, et c’est devenu frustrant à certains moments parce que mon nom devenait souvent très lourd à porter. »

Pendant cette période trouble, elle a quitté le centre de haute performance de Toronto pour renouer avec son club d’origine, au centre-ville. Après des Jeux du Commonwealth décevants en 2018, elle est partie nager trois mois en Floride avec des vedettes comme Ryan Lochte et Caeleb Dressel. Elle a ensuite pris l’été de congé.

À son retour, elle a repris du service au centre national avec Ben Titley, l’entraîneur qui l’a menée quatre fois sur le podium à Rio. Le Britannique d’origine signale les nombreux changements auxquels sa protégée a dû s’adapter.

« À 15, 16 ans, qu’est-ce que tu fais ? Tes parents vont te reconduire, te font à manger. Tu arrives à la piscine, ton coach te dit quoi faire à l’entraînement. La vie est simple. Les cinq années suivantes, tu apprends à conduire, tu as des chums ou des blondes, tu te sépares, tu obtiens ton diplôme du secondaire, tu as des commanditaires, tu quittes la maison, tu dois acheter tes meubles pour ton propre appartement. »

Les changements corporels sont un autre élément à prendre en considération, ajoute Titley. « Tu ajoutes le stress et la pression de performer et de t’entraîner fort, ça fait beaucoup dans l’assiette d’une jeune personne. »

PHOTO FRANK GUNN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Penny Oleksiak lors des essais olympiques de juin dernier

L’ex-nageuse Britanny MacLean, qui a remporté une médaille de bronze au relais 4 x 200 m avec Oleksiak, a été un témoin privilégié de son ascension fulgurante à Rio.

« C’était fantastique à voir. Chaque fois qu’elle plongeait dans l’eau, c’était plus vite, c’était meilleur. Ça vient avec beaucoup de pression, beaucoup de poids sur tes épaules. »

Elle est passée de l’athlète qui n’avait aucune pression, parce que tout ce qu’elle faisait n’était qu’amélioration, à : “J’ai tellement de pression maintenant.”

Britanny MacLean

MacLean, qui travaille maintenant pour le Comité olympique canadien, applaudit Oleksiak pour avoir témoigné de ses soucis personnels.

« Pour une jeune femme dans le sport, c’est [un enjeu] très commun. Plus le temps passe, plus les gens parlent de leur santé mentale. C’est un sujet qui me passionne aussi. C’est fantastique de l’entendre parler considérant le nombre de personnes qui l’admirent et pour qui elle aide à normaliser le sujet. »

Compétition entre coéquipières

Dans la piscine, Oleksiak n’est pas montée sur un seul podium individuel en deux Championnats du monde en grand bassin, se contentant de quatre médailles de bronze dans les relais. Si elle maximise son potentiel à Tokyo, elle pourrait rejoindre Cindy Klassen et Clara Hughes, qui trônent au sommet des plus grands médaillés olympiques canadiens de l’histoire, avec six podiums chacune. Avec un peu de chance, elle pourrait même les dépasser.

« Le but pour elle est simplement qu’elle s’amuse et qu’elle nage vite, prévient Titley. Elle ne peut pas contrôler les autres et les résultats, elle peut seulement contrôler ce qu’elle fait. Malheureusement, le reste du monde s’est amélioré dans ses épreuves au cours des cinq dernières années. Les temps réussis par Penny pour gagner des médailles aux derniers Jeux olympiques ne lui permettront pas d’en gagner à ceux-ci. C’est simplement la réalité. »

D’autres Canadiennes ont pris le relais. Kylie Masse, déjà médaillée de bronze à Rio, est double championne du monde en titre au dos. Margaret MacNeil a réalisé le même exploit au papillon en 2019. En revanche, la forme de Taylor Ruck, octuple médaillée aux Jeux du Commonwealth, suscite des questions.

PHOTO FRANK GUNN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Summer McIntosh

Summer McIntosh, 14 ans seulement et plus jeune membre de toute l’équipe olympique canadienne, s’annonce comme la prochaine grande vedette. Oleksiak « adore » sa coéquipière, mais elle veut la laisser vivre sa propre expérience à Tokyo.

« C’est un apprentissage et je pense qu’elle doit le vivre un peu par elle-même et découvrir ce qui est bon pour elle. Peut-être qu’elle va adorer être sous les projecteurs, être connue. Elle pourrait composer avec ça de façon complètement différente de la mienne. En toute honnêteté, j’ai été l’une des premières nageuses canadiennes [à émerger] au moment où les médias sociaux commençaient à devenir très importants. On a tous appris de ça ! »

PHOTO DAVID GRAY, ARCHIVES REUTERS

Penny Oleksiak au Jeux du Commonwealth de 2018

Se retrouver entre coéquipières, se pousser l’une et l’autre, « avoir du plaisir » : voilà le simple souhait exprimé par Oleksiak au sujet des JO de Tokyo. Les relais 4 x 100 m et 4 x 200 m libre sont d’ailleurs les deux épreuves qui l’emballent le plus.

Nul besoin de gratter longtemps pour rallumer son esprit compétitif. Une simple question sur l’absence de l’Américaine Simone Manuel, la codétentrice de l’or olympique au 100 m libre qui a raté sa sélection pour Tokyo, la relance.

« Plusieurs personnes ne comptaient pas sur moi et disaient que Simone serait la première championne à défendre son titre au 100 m depuis 1964. Je me demande s’ils vont me considérer de nouveau. D’une certaine façon, j’espère que non ! Ça m’a comme fâchée dans la dernière année. Je vois que mon nom n’est jamais là et je me dis : vous allez voir ! »

Quelqu’un veut parier contre elle ?

Un appui de Phelps

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Michael Phelps aux Jeux de Londres en 2012

Oleksiak n’a pas hésité quand l’équipe de Michael Phelps est débarquée à Toronto pour lui offrir une commandite de l’entreprise d’équipement de natation. Elle a eu l’occasion de rencontrer le légendaire nageur américain lors d’une séance photo à San Diego. Leurs deux visages ornent d’ailleurs la page d’accueil du site Phelps à l’heure actuelle. « Il est juste vraiment gentil, raconte Oleksiak. Il y avait plusieurs choses auxquelles on pouvait s’identifier. Il est très important aux États-Unis et il a émergé à un très jeune âge. J’étais un peu dans cette position. Il m’a donné de bons conseils sur la façon de me comporter un peu mieux, de le faire sur une base quotidienne pour tirer profit de la position dans laquelle je me trouve. Je lui en suis très reconnaissante. »