Une étoile filante brésilienne est passée dans le ciel de la Formule 1 entre 1984 et 1994: Ayrton Senna da Silva, triple champion du monde, s'est éteint il y a 20 ans sur le circuit italien d'Imola, alors qu'il menait le Grand Prix de Saint-Marin.

La mort en direct de Senna a déclenché une onde de choc qui s'amplifie cette semaine, au 20e anniversaire de ce choc mortel contre le mur en béton de la courbe de Tamburello, le 1er mai 1994 à 14h17. C'était au 7e tour et Senna, encore parti en pole position, était en tête.

L'homme qui l'a le mieux connu pendant son passage en F1, c'est Ron Dennis, le patron de McLaren, chez qui Senna a raflé 35 de ses 41 victoires et conquis ses trois titres mondiaux (1988, 1990, 1991).

«Pourquoi Senna est-il considéré par beaucoup comme le meilleur pilote de tous les temps ?», se voit-il demander, lundi, sur le site de l'écurie de Woking, en Angleterre. Réponse de Ron Dennis: «Parce qu'il a été vraiment très bon pendant tout le temps qu'il a passé sur cette planète. C'est dur de trouver un aspect positif au fait qu'il a eu un accident et a perdu la vie, mais ça veut aussi dire qu'on n'a pas assisté à son déclin».

«Beaucoup de pilotes restent trop longtemps dans le sport et ternissent leur image», ajoute le patron de McLaren, dont les deux pilotes les plus emblématiques, Ayrton Senna et Alain Prost, ont terminé leur carrière de manière bien différente: le Brésilien est mort en course, le Français s'était sagement retiré six mois plus tôt, sur un 4e titre mondial.

Coups d'éclat chez Lotus 

La rivalité entre Prost et Senna, notamment chez McLaren, a dopé les audiences de la F1. Surtout en 1988 quand le champion confirmé et son jeune rival raflent 15 Grands Prix sur 16, et Senna son premier titre mondial. Puis leurs relations se tendent et Prost part chez Ferrari.

Ron Dennis avait repéré Senna quand il était chez Lotus. Le Brésilien, après des débuts remarqués chez Toleman, en 1984, enfile les coups d'éclat pendant trois saisons: deux victoires par an, mais surtout 16 pole positions au volant d'une Lotus pourtant moins rapide que ses rivales.

«Le moteur Honda était bon, donc Ayrton voulait venir chez nous. On a beaucoup discuté de la future voiture, puis il a bien fallu qu'on parle d'argent. Comme on n'arrivait pas à se mettre d'accord, ça s'est terminé en lançant une pièce de monnaie, et j'ai gagné: Ayrton a eu un contrat de trois ans, avec 1,5 million de dollars la première saison», se souvient Ron Dennis.

75 paires de chaussures 

De 1988 à 1993, Senna brille chez McLaren, remportant plus d'un GP sur trois (35 en 96 départs), mais tout aurait pu basculer courant 1990, quand Ferrari lui propose un pré-contrat, qu'il signe, pour rejoindre... Prost à la Scuderia. Mais le transfert du siècle n'aboutit pas. Non pas à cause de Prost, qui n'était pas au courant, mais en raison d'une rivalité au sein de Ferrari.

L'autre facette de Senna, celle qui a fait de lui un seigneur du sport, c'est qu'il était «un bon être humain, avec des principes et des valeurs», rappelle volontiers Ron Dennis.

Une anecdote résume cela. Dans un grand magasin d'Adélaïde, après un GP d'Australie, Senna est en train d'acheter des valises quand surgit un journaliste anglais: «Qu'est-ce que tu fais là ?». Réponse de Senna: «J'ai besoin de ces valises pour transporter des chaussures...» Et il lui montre une liste de 75 personnes, avec toutes les pointures.

Tous travaillent pour la Fondation Senna, ils aident chaque jour les pauvres de Sao Paulo, alors Ayrton veut leur faire plaisir et il prend le temps de le faire: «Chacun aura une paire de chaussures choisie par moi», sourit le triple champion du monde.

Ayrton Senna en 10 dates

1. GP de Monaco, 3 juin 1984

Premier coup d'éclat de Senna en Principauté, au volant d'une modeste Toleman-Hart, lors d'une course très arrosée que le Brésilien a transformé en festival de dépassements. Il passe même le leader, Alain Prost, mais c'est sous le drapeau rouge, alors que la course vient d'être interrompue pour raison de sécurité. Senna est deuxième, mais vainqueur moral. Il en gagnera d'autres...

2. GP du Portugal, 21 avril 1985

Première pole position et première victoire en F1, avec le record du tour en prime, dans sa Lotus noire et or propulsée par un moteur Renault. Sur le podium, le jeune Ayrton, 25 ans, est entouré par deux pilotes Ferrari, Michele Alboreto et Patrick Tambay.

3. GP de Monaco, 31 mai 1987

Première des six victoires de Senna en Principauté, lors de son 50e GP de F1, au volant d'une Lotus devenue jaune canari, propulsée par un moteur Honda. Sur le podium, aux côtés de Senna et du Prince Rainier, il y a un champion du monde brésilien, Nelson Piquet, et un pilote Ferrari, le regretté Michele Alboreto.

4. GP de Saint-Marin, 1er mai 1988

Depuis son arrivée chez McLaren, Senna n'a qu'une idée en tête: battre son coéquipier Alain Prost. Parti en pole, il y arrive pour la première fois de la saison et lance parfaitement le duel pour le titre mondial, qui va durer jusqu'au dernier GP, au Japon.

5. GP du Japon, 30 octobre 1988

C'est le GP décisif mais Senna cale au départ, puis réussit à faire démarrer son moteur Honda car le circuit de Suzuka est en pente. Quatorzième au premier virage, il est déjà 8e à la fin du 1er tour, alors que Prost caracole en tête. Senna remonte et dépasse Prost au 28e tour, le Français ayant des problèmes d'embrayage et de boîte de vitesses. Senna gagne et remporte son premier titre.

6. GP du Japon, 22 octobre 1989

Rebelote entre les deux grands rivaux: un GP décisif, à Suzuka, qui bascule au 47e tour quand les deux McLaren s'accrochent, car Prost a «fermé la porte» quand Senna l'a attaqué. Le Français est champion du monde, pas le Brésilien, et il part chez Ferrari car la cohabitation entre les deux hommes est désormais impossible. Senna se vengera un an plus tard, au même endroit...

7. GP du Japon, 21 octobre 1990

C'est le troisième acte de la saga Prost-Senna, encore en bagarre pour le titre mondial, et encore au Japon. Cette fois-ci, le Brésilien, parti en pole position, prend l'initiative et percute volontairement la Ferrari du Français au premier virage, envoyant les deux monoplaces dans le décor. Il est champion du monde pour la deuxième fois... et il a la conscience tranquille.

8. GP du Brésil, 24 mars 1991

Sept fois de suite, de 1984 à 1990, la victoire lui a échappé dans son GP national, d'abord sur le circuit de Jacarepagua puis sur celui d'Interlagos, dans la banlieue de sa ville natale, Sao Paulo. Cette fois-ci, c'est la bonne, malgré une boîte de vitesses en vrac et de terribles crampes qui l'obligent à demander de l'aide pour sortir de son cockpit.

9. GP d'Australie, 7 novembre 1993

C'est la 41e et dernière victoire de Senna en F1, au bout de sa dernière course dans une McLaren, et du dernier duel contre Prost, qui va prendre sa retraite au terme de son 199e GP. Les deux hommes sont réunis sur le podium et se donnent l'accolade, Prost est champion du monde pour la 4e fois, puis Senna avoue que le petit Français va lui manquer...

10. GP de Saint-Marin, 1er mai 1994

C'est le 161e et dernier départ de Senna en F1, en pole position, au volant d'une Williams rétive qui va l'envoyer dans le mur en béton de la courbe de Tamburello au 7e tour, à plus de 220 km/h, et clôturer de manière tragique, en direct, la saga héroïque d'un pilote adulé par les foules. Rideau noir.