Il y a 25 ans aujourd'hui, le Canadien Ben Johnson remportait le 100 m aux Jeux de Séoul. Le scandale qui a suivi a marqué l'histoire du sport. Et celle d'un pays. Notre journaliste a rencontré un homme toujours en quête de rédemption. Et de sérénité.

Il y a 25 ans, le 24 septembre 1988, aucun Canadien n'était plus connu partout sur la planète que Ben Johnson, le nouveau champion olympique du 100 mètres, à Séoul, avec un chrono fabuleux (à l'époque) de 9,79 secondes.

En fait, aucun Canadien n'avait eu une telle notoriété auparavant et aucun ne l'a égalée depuis. Trois jours plus tard pourtant, Johnson est devenu l'un de plus grands parias de l'histoire de l'humanité. Convaincu de dopage, il était chassé du Village olympique et rentrait au Canada dans l'opprobre général.

Vingt-cinq ans plus tard, Ben Johnson reste un homme brisé par le scandale de Séoul. «Un membre du Parlement, un Québécois, je crois, a même suggéré que je sois renvoyé en Jamaïque, mon pays d'origine! rappelait Johnson, il y a quelques jours à Toronto, en entrevue exclusive à La Presse. Je suis fort et j'ai survécu, mais une partie de moi n'oubliera jamais ce que j'ai subi...

«Et je n'oublierai jamais non plus comment j'ai dû me battre pour faire ma place. J'ai été le dernier sélectionné pour faire partie de l'équipe canadienne, le dernier à recevoir un financement de la Fédération.

«Et quand je suis devenu une vedette, tout le monde voulait m'avoir avec eux afin d'en profiter. Mais Charlie (Francis, son entraîneur) les a envoyés se faire f... Même après mes premiers records du monde, nous devions nous entraîner sur une piste délabrée près d'un champ où il y avait des vaches et faire attention à ne pas marcher dans la bouse...

«C'était tellement sale, une vraie honte... Mais je suis fort et toute cette adversité m'a aidé à devenir encore plus fort!»

Vêtu d'un survêtement de sport noir, toujours aussi timide et hésitant quand il s'exprime, il est pourtant actuellement le «visage» de la campagne PureSport, une initiative de l'homme d'affaires australien Jaimie Miller qui fait la promotion d'un sport sans dopage.

«J'ai pris de mauvaises décisions et j'aimerais aider les jeunes à ne pas avoir à le faire eux aussi, explique l'ancien champion, aujourd'hui âgé de 51 ans, qui retourne à Séoul cette semaine pour la première fois depuis les Jeux.

«Quand je regarde les chronos des athlètes d'aujourd'hui, je constate que la situation n'a pas vraiment changé. C'est même encore pire avec les nouvelles technologies qui permettent toujours aux tricheurs d'être un pas en avant de ceux qui tentent de les prendre.

«Je suis convaincu - et je ne suis pas le seul - que c'est impossible de remporter une médaille olympique en sprint sans avoir recours au dopage. Et je doute que la situation évolue à court terme. Il va falloir un changement radical, une véritable révolution du système, pour que les choses évoluent.

«Avec cette campagne, nous espérons faire avancer les choses, un peu...»

Un complot?

Visiblement repentant, Johnson n'en reste pas moins plein de contradictions. Il continue ainsi à affirmer qu'il a été victime d'un complot à Séoul.

Charlie Francis a toujours nié avoir administré du stonozonol à Johnson - les deux hommes préférant le furozobol, un autre stéroïde, plus efficace et plus facile à masquer. Selon eux, l'Américain Andre Jackson - un coéquipier de Carl Lewis au club de Santa Monica - aurait trafiqué les boissons que Johnson avait dû prendre après la finale pour aller uriner...

Et Johnson rappelle que cinq autres finalistes de Séoul ont eux aussi été convaincus de dopage plus tard dans leur carrière. «J'étais le coupable idéal, estime-t-il. Je venais d'un petit pays, je n'avais pas une grosse machine derrière moi (comme Lewis) et personne n'avait intérêt à me défendre...»

Quelques mois après le scandale, pendant les travaux de la commission d'enquête dirigée par le juge Charles Dubin, Johnson a d'ailleurs été joyeusement lâché par les dirigeants du sport canadien.

«C'était une vraie farce, insiste-t-il, encore choqué. Les dirigeants de la Fédération canadienne, qui étaient parfaitement au courant du dopage depuis longtemps, ont prétendu le contraire devant la commission. Cela a été difficile d'écoper comme je l'ai fait, alors qu'eux sont sortis de là sans aucune réprimande.»

Plusieurs ont accusé Johnson d'avoir causé un grand tort au sport et aux athlètes canadiens. Il s'en défend avec véhémence - et c'est vrai que le sprint canadien a connu plusieurs succès après sa déchéance, grâce notamment à Donovan Bailey et à Bruny Surin.

«Ma mère m'a toujours dit qu'il n'y avait eu qu'une seule victime dans cette affaire: moi-même! Lui annoncer la nouvelle a sans doute été la chose la plus difficile de ma vie. Mais elle était très croyante et m'a conseillé de m'en remettre à Dieu pour aller de l'avant.»

Après quelques tentatives de retour, quelques aventures commerciales et quelques collaborations, comme entraîneur, avec la famille Gaddafi ou Diego Maradona, Johnson vit toujours dans la région de Toronto et avoue passer une grande partie de son temps avec sa fille et sa petite-fille.

«J'aimerais leur offrir une vie meilleure que la mienne, faire en sorte qu'elles soient fières de porter mon nom aussi. C'est un peu pour cela que je me suis impliqué dans PureSport.

«J'aimerais aussi retourner en Jamaïque, y acheter une petite maison et pouvoir y profiter de la vie. J'essaie de rester en bonne forme, même si je sais que ma santé est menacée.»

À 51 ans, Ben Johnson n'a plus rien du colosse musclé qui pointait le ciel, il y a 25 ans, en achevant un 100 mètres qui allait transformer sa vie en une course sans fin. Dommage pour lui qu'il n'ait aucune chance de la gagner, cette course.

archives La Presse

La une de La Presse, le 28 septembre 1988.