Les billets pour les spectacles de drags s’envolent à Val-d’Or. Ceux de Sherbrooke ont leurs habitués. Une drag animera bientôt un tournoi de golf hors de Montréal. De toute évidence, même si les communautés LGBTQ+ sont plus petites dans les régions du Québec, les drags y sont les bienvenues.

Il y a 12 ans, quand Sasha Baga se rendait à Saint-Georges pour se produire en spectacle, une légère inquiétude l’habitait. « Je me rendais au bar, je me maquillais sur place et je ne sortais pas, se souvient-elle. Aujourd’hui, si je vais à Trois-Rivières ou à Sherbrooke, je vais au resto en drag sans problème. Bien sûr, il y a des regards drôles, mais les gens sont très réceptifs. »

Originaire d’Amos, elle n’aurait jamais imaginé faire de la drag dans sa région natale.

PHOTO MARTINE POULIN, FOURNIE PAR SASHA BAGA

Sasha Baga

Ayant grandi [à Amos] en tant que personne très marginalisée, j’ai eu un primaire et un secondaire rock and roll. Je n’aurais jamais cru que les esprits s’ouvriraient.

Sasha Baga

« Il y a encore beaucoup de travail à faire, mais je viens d’être engagée pour être l’ambassadrice de Tourisme Abitibi-Témiscamingue, ajoute-t-elle. C’est complètement fou ! »

Deux mondes se côtoient

À Sherbrooke, Gina Gates voit une centaine de personnes se réunir chaque semaine pour voir des drags au bar l’Otre Zone. « La communauté soutient ses artistes, dit-elle. On a énormément de réguliers qui suivent nos shows. »

PHOTO BG PHOTOGRAPHIE, FOURNIE PAR GINA GATES

Gina Gates

Elle se sent tout aussi bien reçue par les habitués de la Microdistillerie, située au-dessus. « C’est un bar très hétéronormatif, mais quand je sors en drag, les clients m’applaudissent, m’encouragent et viennent me parler. Ils sont fascinés par ce qu’ils voient. »

Originaire de Joliette, Rainbow donne des spectacles partout en province.

Plus de 70 % de mes contrats sont à l’extérieur de Montréal. Je suis souvent engagée pour des évènements corporatifs en région.

Rainbow

Elle observe elle aussi un accueil favorable à l’art de la drag. « Les gens sont curieux d’en apprendre plus. Ils connaissent le maquillage et les costumes, mais ils réalisent qu’il y a beaucoup de recherche et de création dans ce qu’on fait. Ça amène de belles discussions. »

Passer un message

Selon Lady Frencheuse, qui forme avec Old El Paslut le duo Les Diamond Drilleuses de Val-d’Or, la drag permet d’aborder plusieurs sujets délicats. « Quand on parle de racisme systémique et de ce qui se passe avec les Premières Nations, les gens nous écoutent, dit-elle. On peut discuter de n’importe quel sujet et ça va passer, parce qu’on est en drag. »

Ayant fait ses premiers pas en drag tout récemment, Lady Frencheuse évoque un deuxième coming out à faire auprès de son entourage, après celui lié à son orientation sexuelle.

Ce que je fais en drag est plus difficile à comprendre pour certains proches qui n’évoluent pas dans le milieu queer. On me pose souvent des questions sur mon identité de genre.

Lady Frencheuse

Elle ajoute que le fait de s’afficher en drag dans la petite communauté LGBTQ+ abitibienne est un couteau à double tranchant. « Certains adorent, alors que d’autres trouvent que je suis trop féminine ou trop trash. En Abitibi-Témiscamingue, si tu sors de la norme et que tu n’es pas suffisamment ‟masculin”, ça dérange. »

Peu importe, elle assume. « Je rends les gens un peu mal à l’aise et c’est une bonne chose. Ce sera plus facile pour les générations futures de parler de ce qu’elles veulent être. »

Foule en liesse

Malgré certains malaises, les spectacles de drags sont courus dans sa région. « Cette année, on en compte déjà six ! Je trouve ça phénoménal de faire des shows de drags à Val-d’Or, le berceau de l’industrie minière ! »

De Rouyn-Noranda à Sherbrooke, Sasha Baga peut témoigner elle aussi de l’euphorie du public. « Les gens sont hors de contrôle et ils aiment vraiment ça ! » Il y a néanmoins un travail d’éducation à faire dans son cas. « Puisque je suis une femme trans qui fait de la drag, il y a toujours des gens qui vont passer des commentaires, sans vouloir être méchants, et qui viennent me questionner pour savoir pourquoi je continue depuis ma transition. »

PHOTO MORGANE CHOQUER, LA PRESSE

Rainbow

Rainbow aime particulièrement assister aux premiers pas de certains membres du public dans l’univers de la drag. « C’est souvent ceux qui se sont fait tordre un bras pour venir nous voir qui finissent par avoir le plus de fun. Et parfois, le party lève beaucoup plus en région qu’à Montréal. »

Partout au Québec, les drags attirent des personnes de toutes les orientations sexuelles et de tous les âges. « À la dernière édition de Fierté Val-d’Or, la drag Adriana faisait partie du show, et j’ai vu des ados de 13 ans crier et lancer des cinq piastres comme si demain n’existait pas, affirme Lady Frencheuse. Adriana elle-même était surprise. Elle nous a dit qu’elle ne goûtait pas à ce genre d’énergie dans les grands centres. »