Les chercheurs de l'Institut de cardiologie de Montréal avaient l'air de gamins sur le point de partir pour une chasse au trésor, hier. La multinationale pharmaceutique AstraZeneca vient de leur offrir 80 000 échantillons d'ADN qu'ils analyseront sous toutes leurs coutures. L'objectif: débusquer les gènes responsables des maladies cardiovasculaires et du diabète et inventer de nouveaux médicaments personnalisés. Explications en quatre points.

La matière première

Pas moins de 80 000 échantillons de sang provenant de partout dans le monde seront bientôt livrés à l'Institut de cardiologie de Montréal (ICM), rue Bélanger. « Ça va arriver à Montréal par avion, dans des conditions spéciales, comme vous pouvez l'imaginer », explique le Dr Jean-Claude Tardif, directeur du Centre de recherche de l'Institut de cardiologie de Montréal. Ces échantillons ont été récoltés lors des études que mène la société pharmaceutique AstraZeneca pour vérifier l'efficacité de ses médicaments. Les 80 000 patients proviennent de 99 études différentes réalisées sur une période de 12 ans. Ils étaient tous atteints de maladies cardiovasculaires et de diabète. « C'est la plus grosse biobanque du genre au monde », se réjouit le Dr Tardif.

Le travail

Les chercheurs de l'ICM interrogeront cette immense banque d'information afin de découvrir quels gènes causent quelles maladies. Pour cela, ils utiliseront autant des ordinateurs que des appareils de pointe qui portent des noms comme « puces de génotypage » ou « plateformes génomiques de criblage à haut débit ». En plus des échantillons biologiques, les chercheurs disposeront aussi des informations de santé des 80 000 patients qui ont fourni les échantillons et ont été suivis pendant des années. En recoupant les informations, les scientifiques espèrent comprendre comment les patients ont réagi à la médication en fonction de leur profil génétique.  Leur défi sera en fait de jongler avec autant de données. Grâce à des tests génétiques et des manipulations statistiques, chaque échantillon pourra générer entre 20 et 40 millions de marqueurs. La Dre Marie-Pierre Dubé, directrice du Centre de pharmacogénomique Beaulieu-Saucier de l'ICM, qui dirigera les travaux, avait déjà commencé à calculer, hier. « Quarante millions de marqueurs par échantillon, multiplié par 80 000 échantillons... Ça fait des milliers de billions de données. C'est un défi de bioinformatique considérable », a-t-elle lancé.

Les espoirs

En combinant les informations d'AstraZeneca avec l'expertise de l'ICM pour les faire parler, les scientifiques espèrent faire d'une pierre deux coups.

1. Personnaliser les thérapies. Les médecins savent qu'un médicament peut faire des miracles chez un patient alors qu'il cause des effets secondaires chez un autre, sans rien guérir. Mais la plupart du temps, ils ne savent pas à l'avance comment réagiront leurs patients et procèdent par essais et erreurs. En déterminant les profils génétiques qui réagissent aux divers types de médicaments, les chercheurs espèrent découvrir comment donner « le bon médicament à la bonne personne, au bon dosage et au bon moment ».

2. Découvrir de nouveaux médicaments. La multinationale AstraZeneca ne s'en cache pas : si elle met ses échantillons dans les mains des chercheurs de l'ICM, c'est dans l'espoir qu'ils fassent des découvertes qui conduiront à de nouveaux médicaments. L'entreprise conservera la propriété intellectuelle sur ces éventuelles découvertes.

« Les nouvelles cibles thérapeutiques sont de plus en plus difficiles à identifier. Si nous créons deux ou trois nouveaux médicaments à succès avec les outils génomiques, ce sera une bonne nouvelle pour nous, pour les chercheurs et pour les patients », a dit à La Presse la Dre Fouzia Laghrissi-Thode, vice-présidente d'AstraZeneca, qui était venue de Londres hier pour participer à l'annonce. Les chercheurs croient pouvoir annoncer leurs premières découvertes d'ici deux ans.

Le choix

La multinationale britannique AstraZeneca avait le choix de confier sa précieuse banque d'échantillons à n'importe qui dans le monde. Elle a dit avoir choisi l'Institut de cardiologie de Montréal pour maximiser ses chances de découvertes. « L'ICM est à la fine pointe de ce qui se fait dans le monde. Il y quelques endroits qui auraient pu faire des parties du travail, mais l'expertise ici est assez unique », a dit la vice-présidente Fouzia Laghrissi-Thode, qui a notamment vanté les capacités en bioinformatique de l'ICM. Le Centre de pharmacogénomique Beaulieu-Saucier de l'ICM compte 40 personnes, dont des généticiens, des bioinformaticiens et des statisticiens.