Sur sa carte de visite, Julie Payette se dit encore astronaute. Mais elle sait que la première phase de l'ère spatiale tire à sa fin, avec l'entrée au musée de la dernière navette spatiale. Nommée en octobre déléguée scientifique du Québec à Washington, Julie Payette a aussi le mandat de faire la promotion du réseau de recherche polaire ArcticNet, établi à l'Université Laval. La Presse l'a rencontrée au cours de son récent passage à Montréal, où elle a participé à la conférence de clôture de l'Année polaire internationale.

Q: Est-ce difficile de mettre la vie d'astronaute derrière vous?

R: Il n'y a plus de missions spatiales, il faut bien se faire à cette idée. Les astronautes professionnels, c'est fini. Mais l'ère de l'aventure spatiale commerciale est sur le point de s'ouvrir. Dans le temps de Christophe Colomb, il n'y avait pas de touristes qui traversaient l'Atlantique. Et bientôt, des gens vont pouvoir devenir ingénieurs miniers sur la Lune ou agents de bord dans l'espace.

Q: Est-ce que ce n'est pas le signe d'une fuite en avant, alors qu'on s'inquiète du sort de la planète?

R: Je ne dirais pas que c'est une fuite en avant. Des gens comme Stephen Hawkin disent que, pour l'humanité, le voyage spatial est une nécessité.

Q: Quel est votre intérêt pour les mondes polaires?

R: La première fois que je suis allée dans l'Arctique, c'était pour parler aux gens à Inuvik, en 1994. Et j'y suis retournée chaque fois que j'en ai eu l'occasion. Mais je n'étais jamais allée au nord du cercle polaire avant l'an dernier. J'ai passé une semaine sur l'Amundsen (le brise-glace scientifique canadien) et j'arrive de Kuujjuaq, où je suis allée rencontrer les jeunes du camp de hockey de Joé Juneau. Quand je vais dans le Grand Nord, je dis aux gens comment leur vie ressemble à celle d'un astronaute. Je leur dis: comme vous, on n'a pas toujours de la nourriture fraîche, il faut attendre le cargo de ravitaillement. L'eau, dans l'espace, est rationnée, on utilise les principes de conservation. Il faut s'occuper de près des choses essentielles de la vie.

Q: Comment vivez-vous le débat sur les changements climatiques aux États-Unis?

R: Là où j'habite, on entend des débats sur la vaccination, l'évolution et le climat. Au Texas, c'est courant de nier que l'évolution et les changements climatiques font partie de la réalité scientifique. Je fais partie de ceux qui voient très bien que la planète se réchauffe et que les régions arctiques se réchauffent encore plus rapidement. Tout n'est pas mauvais: les saisons agricoles vont être plus longues, la forêt boréale va s'étendre au nord... Mais d'autres choses sont négatives, et les humains vont devoir s'adapter. Les humains sont bons pour s'adapter quand ils ont la bonne information. C'est ce qui est merveilleux dans une conférence comme celle-ci. Il n'y a pas que les scientifiques, il y a toutes les parties prenantes.

Q: Trouvez-vous que l'information sur la science du climat et les changements climatiques est mal diffusée?

R: Au contraire, l'information est très accessible, mais la désinformation aussi. Une des choses que je montre à mon plus jeune, qui a 8 ans, c'est que, quand on cherche sur Google, il faut voir si un site est sérieux ou pas et il faut en consulter plusieurs. L'état de la culture scientifique me préoccupe beaucoup. Il y a un sentiment que les sciences, c'est réservé à ceux qui ont du talent pour ça. Mais on a tous besoin d'une bonne culture scientifique.

Q: En quoi consiste votre nouveau rôle à Washington?

R: Faire connaître les forces du Québec en matière de recherche et d'innovation. Ces jours-ci, je m'occupe notamment de la nanocellulose cristalline. C'est un nanomatériau issu de la fibre de bois. Il permet de renforcer d'autres matériaux. Et c'est un produit renouvelable. La première usine de démonstration à en produire est à Windsor, au Québec. On a peut-être une longueur d'avance dans ce domaine.