Chair de poule, émotions de toutes sortes, envie irrépressible de l'écouter en boucle : une bonne pièce musicale peut procurer un plaisir intense. Or, des chercheurs montréalais viennent de montrer qu'on peut moduler ce plaisir comme on ajuste le volume d'une chaîne stéréo.

Leur truc : bidouiller les circuits électriques du cerveau... avec des champs magnétiques.

C'est la grande découverte de l'étude publiée hier dans Nature Human Behaviour : on peut manipuler le cerveau de façon à intensifier ou atténuer le plaisir musical. Pour ça, l'équipe de Robert Zatorre, professeur de neurologie et de neurochirurgie à l'Institut et hôpital neurologiques de Montréal rattaché à l'Université McGill, a utilisé la stimulation magnétique transcrânienne (SMT).

La technique consiste à stimuler ou inhiber certaines zones du cerveau en leur envoyant un champ magnétique. En stimulant ainsi une zone appelée « cortex préfrontal dorsolatéral gauche » chez 17 participants, les chercheurs ont fait augmenter le plaisir qu'ils ressentent en écoutant de la musique. En inhibant la même zone, leur plaisir diminuait.

Une triple confirmation

Les scientifiques ont utilisé trois mesures pour évaluer l'extase musicale de leurs participants. D'abord, ils leur ont demandé de noter leur plaisir sur une échelle de un à quatre (un = neutre, quatre = frissons). Puis, ils ont mesuré l'activité électrique à la surface de la peau, un indicateur des émotions ressenties. Enfin, par un système d'encan, ils ont évalué le prix que les participants étaient prêts à payer pour les pièces musicales écoutées.

« Les trois mesures vont dans la même direction. C'est important et ça montre que ce n'est pas l'effet du hasard », dit Robert Zatorre. Fait intéressant, le truc fonctionne autant avec les pièces préférées des participants que celles qui leur étaient imposées par les chercheurs.

Bidouiller les circuits électriques

L'expérience vient rappeler que notre cerveau est une machine électrique avec laquelle on peut interagir. Les champs magnétiques appliqués par les chercheurs ont modulé l'activité électrique dans des circuits dits « frontostriataux ».

En excitant ces circuits, le cerveau produit plus de dopamine, un neurotransmetteur lié au plaisir. En atténuant au contraire l'activité des mêmes circuits, le niveau de dopamine tombe, et la musique génère moins d'effet.

Jusqu'où peut-on pousser ainsi la jouissance provoquée par la musique ? « C'est une bonne question. Une fois que les neurones dopaminergiques ont exprimé toute leur dopamine, je suppose que l'augmentation du plaisir va arrêter et qu'il y aura un plafond », dit le professeur Zatorre. Et si c'est le plaisir musical qui a été étudié, le mécanisme pourrait sans doute moduler aussi le plaisir lié à la nourriture, au sexe, à l'art visuel ou à n'importe quel autre stimulus. « Il n'y a aucune raison de penser que c'est spécifique à la musique », dit Robert Zatorre.

Soigner les dépendances

Peut-on rêver de casques à stimulation magnétique qui amplifieraient autant nos expériences musicales que nos orgasmes ? Robert Zatorre, sans nier que de telles possibilités puissent un jour apparaître, avoue avoir d'autres priorités. Sa prochaine mission : étudier si la stimulation magnétique transcrânienne peut aider les patients atteints de la maladie de Parkinson.

C'est qu'en plus de provoquer des problèmes moteurs, la maladie atténue souvent le système de récompense du cerveau. Les patients ressentent alors moins de plaisir à faire ce qu'ils aiment et finissent par souffrir de dépression ou d'apathie. À l'inverse, atténuer le même système de récompense chez les gens chez qui il est surstimulé pourrait peut-être un jour aider à traiter toutes sortes de dépendances.

Un plaisir mystérieux

Contrairement au plaisir lié à la nourriture et au sexe, celui qui est déclenché par la musique ne joue pas de rôle évident dans la survie de l'espèce. Les scientifiques, dont Robert Zatorre, en ont toutefois décortiqué les mécanismes. Ils ont montré qu'une séquence musicale pousse le cerveau à anticiper ce qui suivra.

La surprise et la réalisation de nos attentes créent ensuite un jeu qui génère du plaisir. « On peut facilement imaginer que le fait de pouvoir prédire est important pour la survie, dit Robert Zatorre. Il est possible que la musique soit donc un jeu dont le rôle est d'entraîner ces mécanismes de prédiction. »

Photo André Pichette, Archives La Presse

Robert Zatorre, professeur de neurologie et de neurochirurgie à l'Institut et hôpital neurologiques de Montréal rattaché à l'Université McGill.