L'objectif des pays de l'Onu, la distribution gratuite pour tous des traitements contre le sida dès 2010, est sérieusement mis en péril par les règles sur la propriété intellectuelle, ou ADPIC, selon un chercheur en économie de la santé.

«Agir partout maintenant» : c'est sur ce thème que se déroule depuis dimanche à Mexico la 17e conférence mondiale sur le sida, avec en toile de fond la promesse de l'Onu, faite en 2006.

Lors de la séance inaugurale, dimanche, Pedro Cahn, président de la société internationale du sida, a admis que le monde ne semblait pas prêt à tenir cet engagement. Mais «on ne peut pas permettre que cela arrive», «la victoire est encore à notre portée», assurait-il.

Rien n'est moins sûr, en dépit des sommes considérables -dix milliards de dollars cette année- consacrées à la pandémie.

Selon le Pr Benjamin Coriat, chercheur en économie de la santé à l'Agence française des recherches sur le sida (ANRS), les règles sur la propriété intellectuelle menacent la réalisation de cet engagement.

«Depuis 2005, explique-t-il, le cadre légal s'est resserré en matière de propriété intellectuelle». Les ADPIC (accords sur les aspects du droit de la propriété intellectuelle), signés en 1994 dans le cadre de l'OMC, sont devenus à cette date pleinement applicables.

Or ces accords rendent obligatoires les brevets pour les nouveaux produits de santé, et interdisent selon M. Coriat «la fabrication locale, l'exportation ou l'importation de copies de ces produits», c'est à dire les génériques, fabriqués par les pays en développement et disponibles à des prix réduits.

La règle ne vaut que pour les nouveaux produits de santé, mais, comme l'a rappelé le Pr Coriat, 10% de patients par an doivent changer de traitement, devenu inefficace ou plus supporté, et passer à ce qu'on appelle des traitements «de deuxième ligne», impliquant des médicaments nouveaux.

Les médicaments brevetés sont proposés à tarif réduit dans les pays en développement. Cela n'empêche que les trithérapies de première ligne (contenant seulement une moitié de médicaments brevetés) coûtent quelque 100 dollars par an, celles de deuxième ligne (avec plus de 90% de médicaments brevetés) 1300 dollars par an, et même 3400 pour les pays dits «intermédiaires».

Compte tenu du passage progressif et quasi inévitable aux médicaments de deuxième ligne, les chercheurs ont estimé la hausse des coûts d'ici 2010 à 250%. «Les sommes considérables mobilisées vont apparaître insuffisantes pour faire face à la demande», a indiqué le Pr. Coriat.

Et demander aux malades des pays en développement de payer une partie des médicaments entraîne déjà, là où c'est le cas, nombre d'abandons de traitements.

Le Pr Coriat estime que l'argument des laboratoires pharmaceutiques selon lequel les médicaments doivent couvrir le coût des recherches n'est pas recevable : «ce coût est couvert par la sécurité sociale des pays riches, ils n'ont pas besoin pour le rembourser de vendre à prix prohibitif dans les pays du sud», dit-il.

Comment sortir de ce problème ? Il y a certes des «flexibilités» dans l'application de la règle, notamment le système des «licences obligatoires», qui, en cas d'«urgence nationale», autorise les fabricants locaux à produire eux-mêmes des médicaments brevetés en versant des royalties minimes.

Une procédure complexe qui ne peut être que ponctuelle, selon le chercheur et son équipe. Une solution plus pérenne, dit-il, pourrait être de «repenser l'outil des licences obligatoires» en définissant une liste d'antirétroviraux «essentiels» bénéficiant d'office de ce système.