«Soixante est un nombre commode car il se divise sans reste par tous les chiffres de 1 à 6. Mais d'où vient que l'on utilise ce nombre pour mesurer le temps (60 secondes, 60 minutes)? Pourquoi le nombre d'heures sur les horloges, soit 12, correspond à sa division par 5? Et a-t-on déjà envisagé un système décimal pour mesurer le temps?» demande un lecteur, Christian Beaudet.

L'utilisation du nombre 60 pour mesurer le temps et les angles — puisque les 360° d'un cercle viennent de 6 x 60° — ne date pas d'hier. D'avant-hier non plus, d'ailleurs, car il s'agit d'une relique héritée de l'ancienne Mésopotamie, cette région du Proche-Orient où furent inventées l'agriculture et l'écriture, il y a des milliers d'années.

À mesure que le commerce et les États se développaient dans cette région du globe, les Mésopotamiens durent s'inventer un système de numération, qui prit comme base le nombre 60, au lieu du 10 que nous utilisons aujourd'hui. Leur écriture, le cunéiforme (en forme de coins), n'utilisait que deux signes pour écrire les nombres : un trait qui ressemblait grossièrement à un «I» et qui pouvait valoir 1 ou n'importe quelle puissance de 60 (60, 3600, etc.); et une sorte de «<» qui pouvait valoir 10 ou multiplier les puissances de 60. La valeur exacte de ces signes était déterminée par leur position dans le nombre et... le contexte. Inutile d'ajouter que ce système pouvait être quelque peu confondant, mais il resta tout de même longtemps en usage.

Pourquoi choisir 60? En vérité, on ne le sait guère. Certains avancent que ce nombre renvoyait à un calendrier de six mois de 60 jours — et la mesure des angles aurait alors été calquée sur l'année —, mais ce n'est qu'une hypothèse. Selon plusieurs auteurs, d'ailleurs, les Mésopotamiens utilisaient un calendrier lunaire où chaque année comptait 12 mois de 30 jours, et non 6 de 60. Il est sûr, en tout cas, que les nombreux diviseurs de 60 (1, 2, 3, 4, 5, 6, 10, 12, 15, 20 et 30) le rendaient malléable et commode pour le commerce.

Quoi qu'il en soit, la division d'un cercle en 360 degrés, et celle des degrés (et du temps) en minutes et en secondes, nous viennent bel et bien de cette époque. Et comme le soupçonne M. Beaudet, il s'est effectivement trouvé des gens, au fil de l'histoire, pour réclamer des réformes — au moins pour la mesure des angles.

Dans son livre The Story of Measurement, l'auteur Andrew Robinson relate que l'astrophysicien britannique Fred Hoyle (1915-2001) a suggéré il y a une cinquantaine d'années d'abandonner les 360° et de calculer les angles en «millitours», ou millièmes de tour. Mais bien que Sir Hoyle fut un scientifique de renom, personne ne lui a emboîté le pas, sans doute parce que tout le monde était déjà habitué à calculer en degrés.

Et la division du jour en 12 heures? Elle n'est pas vraiment plus jeune que notre fameux 60. Selon le site du National Institute of Standards and Technology (NIST, https://physics.nist.gov/ GenInt/Time/time.html), la ville de Sumer, en Mésopotamie, divisait les jours (nuits incluses) en 12 périodes égales; chacune correspondait donc à deux de nos heures actuelles.

C'est en Égypte ancienne que l'on commença à diviser en 12 la «journée» à proprement parler (du lever du Soleil jusqu'à son coucher). Après l'invention des horloges à eau, vers 1500 avant Jésus-Christ, les Égyptiens divisèrent également la nuit en 12 heures.

Comme pour le 60, les raisons qui ont motivé choix du 12 ne sont pas claires, mais on peut prendre pour acquis qu'il ne s'agit pas de la division de 60 par 5. D'abord parce que, selon le site du NIST, les scribes du Nil n'ont pas emprunté le 12 aux Mésopotamiens, mais l'ont choisi eux-mêmes. Et ensuite parce que les Égyptiens comptaient en base 10, comme nous, et non en base 60.

Les premiers cadrans solaires, indique d'ailleurs le NIST, compartimentaient la journée en 10 parties, auxquelles s'ajoutaient deux heures pour les «entre-deux» que sont l'aube et le crépuscule.

Nos 12 heures pourraient donc être un «10+2», mais une autre hypothèse souvent citée veut que l'on ait calqué la division du jour sur celle de l'année, auquel cas le 12 nous viendrait du fait qu'il y a environ 12,4 lunaisons par année.

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Autres sources:

André Warusfel, Les nombres et leurs mystères, Seuil, 1980.

David Sénéchal, Histoire des sciences. Notes de cours PHQ-399, Université de Sherbrooke, 2001.

Catherine Goldstein, La naissance du nombre en Mésopotamie, Histoire des nombres, La Recherche, 2007.