L’intensification des pourparlers entre l’Arabie saoudite et les rebelles houthis qui contrôlent de vastes pans du Yémen laisse espérer un cessez-le-feu durable et un répit pour une population durement affectée par des années de guerre qui ont fait des dizaines de milliers de morts.

Une délégation de représentants de Riyad s’est rendue cette semaine dans la capitale, Sanaa, pour rencontrer les hauts dirigeants du mouvement en présence de médiateurs omanais.

La rencontre est vue par nombre d’analystes comme une indication de la volonté des deux camps d’en arriver à une solution négociée au conflit, qui a créé, selon les Nations unies, l’une des plus importantes crises humanitaires de la planète.

Bruce Riedel, expert du Moyen-Orient rattaché à la Brookings Institution, relève que le rapprochement en cours témoigne d’abord et avant tout de la reconnaissance par le régime du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane de la réalité du terrain.

Les Saoudiens ont finalement réalisé que la guerre au Yémen est pour eux un coûteux bourbier dont ils ne peuvent sortir gagnants et qu’ils doivent trouver une façon de s’en extirper.

Bruce Riedel, expert du Moyen-Orient rattaché à la Brookings Institution

Le régime sunnite n’est pas à l’aise avec l’idée que les houthis, des rebelles chiites soutenus par l’Iran, vont demeurer durablement au pouvoir sur le territoire adjacent à leur frontière sud, mais ils ne peuvent « pas vraiment » faire autrement, note M. Riedel.

« Les houthis sont dominants politiquement et militairement », relève un autre expert de la région, Thomas Juneau, qui voit les tractations en cours comme un « pas important » pour en arriver à un cessez-le-feu durable entre les deux parties et aider à stabiliser le pays.

Un accord formalisant le retrait des Saoudiens des hostilités ne signifierait pas que le calme reviendrait sur l’ensemble du territoire, puisque d’autres factions sont engagées dans la guerre et voudront continuer d’en découdre avec les houthis quoi qu’il arrive des négociations en cours, prévient M. Juneau.

« Les séparatistes dans le Sud n’accepteront jamais de reconnaître l’autorité des houthis sur l’ensemble du pays », prévient l’analyste, qui évoque, comme autre facteur de déstabilisation, la présence d’Al-Qaïda.

M. Riedel note que les tensions autour de la ville de Marib, au cœur d’une région pétrolière que les houthis tentent de contrôler depuis des mois, pourraient aussi fragiliser un éventuel cessez-le-feu permanent.

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Distribution de nourriture organisée par une ONG du Koweït pour les Yéménites déplacés par le conflit, à Marib, le 6 avril dernier

Un cessez-le-feu temporaire reconduit pendant des mois en 2022 est arrivé à échéance en octobre sans entraîner de reprise à grande échelle des affrontements.

Blocus maritime et aérien

Les rebelles, qui contrôlent aujourd’hui l’ouest du pays, ont envahi la capitale en 2014. L’Arabie saoudite a pris la tête l’année suivante d’une coalition de pays arabes qui ont lancé une opération militaire d’envergure en vue de rétablir le régime déchu de l’ex-président Abd Rabbo Mansour Hadi, aujourd’hui mis à l’écart par Riyad.

En plus de multiplier les frappes aériennes meurtrières, les pays membres de la coalition ont imposé, avec l’aide notamment des États-Unis, un blocus maritime et aérien ayant eu des conséquences dramatiques pour la population.

Les Saoudiens ont récemment annoncé leur volonté d’alléger ce blocus de façon à ce que les bateaux se rendant au Yémen ne soient plus tenus d’accoster dans un de leurs ports pour être inspectés.

Un représentant des chambres de commerce yéménites a indiqué il y a quelques jours à l’agence Reuters que les assouplissements proposés vont permettre à des centaines de produits d’être importés de nouveau, par exemple des fertilisants.

Riyad propose par ailleurs d’alléger le blocus aérien de manière à permettre un rétablissement des activités de l’aéroport de la capitale.

PHOTO MOHAMMED HUWAIS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des enfants marchent parmi les tombes de Yéménites morts durant la guerre, dans la capitale, Sanaa, contrôlée par les rebelles houthis.

Les États-Unis, qui ont délégué un envoyé spécial pour aider à la progression des discussions en cours, ont longtemps soutenu les Saoudiens sans égard aux conséquences pour la population, note M. Riedel. Les deux tiers de la population dépendent aujourd’hui de l’aide humanitaire, selon un récent bilan des Nations unies.

Intérêts internationaux

L’administration du président Joe Biden a décidé de rompre avec l’approche de ses prédécesseurs et cherche à profiter de l’occasion offerte par le rétablissement annoncé des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran, sous l’égide de la Chine, pour dénouer la crise.

« L’administration Biden a la bonne attitude en décidant de ne pas se soucier de la manière dont ce rétablissement s’est fait et de se concentrer plutôt sur la baisse de tensions qui peut en découler », dit M. Riedel.

Le régime chinois est lourdement dépendant des hydrocarbures provenant du Moyen-Orient et voit d’un bon œil tout développement susceptible de stabiliser la région, souligne l’analyste.

M. Juneau note que les tractations en cours sont aussi une « victoire » pour l’Iran, qui se félicite du maintien durable au Yémen d’un régime allié partageant son hostilité envers les États-Unis.

La mainmise des houthis, note l’universitaire, n’est « pas une bonne nouvelle » en ce sens pour Washington ni pour la population sous le contrôle des rebelles, qui ont mis en place un régime théocratique rappelant à bien des égards celui des talibans.