(Sanaa) Une délégation saoudienne s’est rendue dimanche dans la capitale du Yémen pour négocier une nouvelle trêve avec les rebelles houthis soutenus par l’Iran, qui contrôlent la ville, alors que l’Arabie saoudite cherche un moyen de sortir de la guerre.

L’ambassadeur d’Arabie saoudite au Yémen, Mohammed al-Jaber, a été reçu par le chef politique des rebelles, Mehdi Machat, selon les médias des houthis, l’agence de presse Saba et la chaîne de télévision Al-Massira. Ces dernières ont diffusé des images montrant les deux hommes se serrant la main.

Les négociateurs saoudiens sont venus « discuter des moyens d’avancer vers l’instauration de la paix », ont indiqué à l’AFP deux diplomates yéménites travaillant dans le Golfe et ayant requis l’anonymat.

Contactées par l’AFP, les autorités saoudiennes n’ont pas souhaité commenter ces informations.

Comme des pans entiers du territoire du Yémen, Sanaa est sous le contrôle des houthis, mouvement proche de l’Iran, depuis plus de huit ans. La coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite voisine depuis 2015 pour appuyer les forces progouvernementales n’a pas réussi à déloger les insurgés.  

Des responsables saoudiens se sont déjà rendus à Sanaa par le passé, des visites cependant rares et souvent limitées. Mais alors que l’Arabie saoudite sunnite tente depuis plusieurs mois de se sortir de ce bourbier, le récent rapprochement avec son grand rival régional, l’Iran chiite, a alimenté l’espoir d’un apaisement au Moyen-Orient, en particulier au Yémen.  

Le pays le plus pauvre de la péninsule arabique subit l’une des pires crises humanitaires au monde. La guerre qui dure depuis huit ans a fait des centaines de milliers de morts et des millions de déplacés, avec des défis colossaux comme les épidémies, la faim aiguë et un effondrement économique, sur fond de baisse de l’aide internationale.  

PHOTO ESSA AHMED, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Une Yéminite déplacée en raison de la guerre, dans la province de Hajjah au Yémen

« Priorité »

« Faire des progrès au Yémen a toujours été une priorité pour les Saoudiens mais, sans les Iraniens, les choses n’iraient pas aussi vite que ce que nous voyons aujourd’hui », a déclaré à l’AFP l’analyste saoudien Hesham Alghannam.

« Par le passé, les discussions avec (les houthis) n’ont pas été très fructueuses, c’est le moins que l’on puisse dire », a fait remarquer l’universitaire basé à Riyad.

Arrivés samedi, des médiateurs omanais sont également à Sanaa pour permettre la signature d’un accord sur une trêve durable.  

Une trêve a été conclue il y a un an au Yémen et a été depuis largement respectée, mais n’a pas été officiellement renouvelée à son expiration en octobre dernier.  

Une nouvelle trêve en discussion comprend des exigences longtemps imposées par les rebelles, ont indiqué des sources gouvernementales yéménites à l’AFP.

Il s’agit d’abord de la levée du blocus aérien et maritime que maintient l’armée saoudienne sur le pays, empêchant les aéroports et les ports sous contrôle rebelle d’opérer sans l’aval de Riyad.  

Autre exigence : le paiement par le gouvernement, qui détient l’essentiel des richesses énergétiques, des salaires de tous les fonctionnaires, y compris ceux travaillant dans les régions tenues par les houthis.

« Fatigués »

Malgré les craintes qu’un accord entre Saoudiens et rebelles ne signifie pas forcément la fin de la guerre civile au Yémen, beaucoup, dans les rues de Sanaa, veulent garder l’espoir d’une paix prochaine.

« Nous voulons que la guerre se termine. Nous sommes fatigués », a confié à l’AFP Ali Hussein, un habitant de la capitale âgé de 23 ans.  

Mahammed Dahmash, un autre résident de 35 ans, a lui aussi émis l’espoir « d’un accord plus que d’une trêve qui mettrait complètement fin à la guerre ».  

Même lueur d’espoir à Hodeida, grande région portuaire de l’ouest. Comme de nombreux fonctionnaires dans les zones contrôlées par les houthis, Mansour n’a pas perçu de salaire depuis sept ans.

« La guerre, ce ne sont pas seulement les roquettes et les missiles, mais aussi notre situation économique qui s’est dégradée », a dit à l’AFP cet enseignant de 46 ans ayant refusé de divulguer son nom de famille.

Imane Mohammed, une autre habitante de Hodeida interrogée par l’AFP, espère que d’ici la fête de l’Aïd, qui ponctue le mois de jeûne musulman en cours, « la situation se calme et revienne à la normale ».

Le conflit au Yémen en bref

PHOTO HANI MOHAMMED, ASSOCIATED PRESS

Des partisans des rebelles houthis protestant contre l’établissement de relations diplomatiques entre les Émirats arabes unis et Israël, à Sanaa au Yémen

Le Yémen est dévasté depuis 2014 par la guerre.

Le conflit opposant les houthis, rebelles proches de l’Iran, et les forces progouvernementales, appuyées par une coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite voisine, a fait des centaines de milliers de morts – victimes directes ou indirectes – et des millions de déplacés.

Sanaa aux mains des houthis

En juillet 2014, les houthis, s’estimant marginalisés, lancent une offensive depuis leur fief de Saada (nord). Ils sont issus du zaïdisme, branche du chiisme majoritaire dans le Nord et qui représente plus de 30 % de la population du Yémen à majorité sunnite.

S’alliant à des unités fidèles à l’ex-président Ali Abdallah Saleh, ils entrent en septembre dans la capitale Sanaa et s’emparent du siège du gouvernement.

Ils prennent la ville portuaire de Hodeida (ouest) sur la mer Rouge, puis progressent vers le centre du pays.

En janvier 2015, ils s’emparent du palais présidentiel à Sanaa et encerclent la résidence du président Abd Rabbo Mansour Hadi, qui fuit vers Aden (sud).

Coalition militaire

Le 26 mars 2015, une coalition menée par l’Arabie saoudite, à laquelle participent notamment les Émirats arabes unis, lance une opération aérienne pour bloquer l’avancée des rebelles. Washington fournit un soutien logistique et de renseignement.

M. Hadi se réfugie en Arabie saoudite tandis que les rebelles se rapprochent d’Aden.

En juillet, le gouvernement annonce la « libération » de la province d’Aden, premier succès des loyalistes. La ville éponyme devient la capitale « provisoire » du pouvoir.

Séparatistes du Sud

Début 2018, des séparatistes du Sud, territoire indépendant avant sa fusion avec le Nord en 1990, se retournent contre les forces gouvernementales à Aden et assiègent le palais présidentiel, avant une intervention saoudo-émiratie.

En août 2019, des affrontements opposent à Aden séparatistes de la force « Cordon de sécurité », entraînée par les Émirats, aux troupes du gouvernement, soutenues par Riyad.

Riyad a depuis négocié un accord de partage du pouvoir et chapeauté la formation d’un gouvernement.

L’Arabie ciblée

Le 14 septembre 2019, les rebelles revendiquent des attaques contre deux sites du géant pétrolier Aramco en Arabie saoudite, premier exportateur mondial de brut. Riyad et Washington accusent l’Iran qui dément.

Les houthis multiplient les attaques avec drones et missiles contre le royaume saoudien. En mars 2021, les installations pétrolières saoudiennes sont la cible de deux attaques majeures.

Offensive sur Marib

Après des mois d’accalmie, les rebelles reprennent en février 2021 leur offensive sur Marib, ville stratégique dans une région riche en pétrole et dernier bastion loyaliste dans le Nord.

L’offensive intervient alors que l’administration américaine de Joe Biden a retiré les houthis de sa liste des « organisations terroristes ».

Six mois de trêve

Le 17 janvier 2022, les houthis attaquent des installations à Abou Dabi, faisant trois morts.

Le 25, les rebelles mènent de nouvelles attaques en Arabie saoudite, provoquant un gigantesque incendie dans un site pétrolier à Jeddah.

Une trêve négociée par l’ONU entre en vigueur le 2 avril 2022. Elle expire six mois plus tard, le 2 octobre, mais la situation reste relativement calme sur le terrain.

Rapprochement entre l’Iran et l’Arabie

Le 10 mars 2023, l’Arabie saoudite et l’Iran conviennent, sous l’égide de la Chine, de reprendre leurs relations diplomatiques et de rouvrir d’ici mi-mai leurs ambassades.

Le 19, le président iranien Ebrahim Raissi reçoit une invitation du roi Salmane pour se rendre à Riyad et sceller le rapprochement entre les deux pays. Le déplacement est prévu après le ramadan, fin avril.

Le 8 avril, des médiateurs omanais arrivent à Sanaa pour discuter avec les rebelles houthis d’une trêve au Yémen avec l’Arabie saoudite.

Le 9 avril, une délégation saoudienne arrive à Sanaa pour négocier une trêve durable et discuter du processus de paix avec les rebelles houthis.