Le chaos à l’aéroport de Kaboul était toujours observable mercredi, tandis qu’une manifestation à Jalalabad a été violemment réprimée. L’ex-président afghan s’est adressé à la nation, alors que la communauté internationale s’inquiète de la suite. Tour d’horizon de la journée en Afghanistan.

Chaos et répression

Des coups de feu. Des bousculades. Le chaos s’est poursuivi aux abords de l’aéroport international de Kaboul, mercredi, alors que des milliers de personnes tentaient de fuir l’Afghanistan.

Des images de Jalalabad, dans l’est du pays, ont laissé entrevoir une répression violente de l’opposition, alors qu’au moins trois personnes ont été tuées et plusieurs autres blessées dans une manifestation contre le régime taliban, selon la BBC. Une vidéo montre une dizaine d’hommes agiter le drapeau national du pays, différent de celui imposé par les talibans. Une foule est dispersée par de nombreux tirs.

PHOTO PAJHWOK, VIA L’AGENCE FRANCE-PRESSE

Capture d’écran extraite d’une vidéo de Pajhwok montrant des manifestants qui brandissent des drapeaux afghans, à Jalalabad, en Afghanistan.

S’agit-il de talibans rattachés au pouvoir central ou non ? Nipa Banerjee se le demande, compte tenu des messages envoyés par les talibans à la communauté internationale. « Ça prend un certain temps pour que les leaders politiques exercent un contrôle », dit la chercheuse de l’Université d’Ottawa.

Hiérarchie inconnue

Quelques jours après la chute de Kaboul, il reste difficile de savoir si les talibans présents à différents endroits dans le pays suivent des ordres donnés selon une hiérarchie stricte ou non, note Aurel Braun, professeur à l’Université de Toronto.

Questionné en conférence de presse mardi sur des représailles subies au cours des dernières semaines par les opposants aux talibans, le porte-parole du groupe avait d’ailleurs attribué à des « bandits » qui « ne sont pas de vrais talibans » les exactions rapportées.

« L’Afghanistan est un grand pays, donc ce serait concevable qu’il y ait des sous-groupes qui échappent au contrôle du centre, estime M. Braun. Nous n’avons pas assez d’information pour l’instant. Mais même si c’est le cas, le problème, c’est que ces groupes seraient inspirés par la même idéologie fanatique. »

Le groupe pourrait aussi tenter de se distancier publiquement de certaines factions sous son contrôle pour éviter de porter la responsabilité d’agissements moins acceptables, ajoute-t-il.

Opposition et négociations

Les talibans ont dit vouloir un « gouvernement islamique, inclusif ». Mercredi, l’ex-président Hamid Karzai et l’ex-vice-président Abdullah Abdullah ont rencontré un haut dirigeant d’une faction des talibans, Anas Haqqani — dont le réseau figure sur la liste américaine des groupes terroristes depuis 2012, ce qui pourrait compliquer davantage les relations internationales.

PHOTO TALIBAN, VIA ASSOCIATED PRESS

L’ancien président afghan Hamid Karzai, au centre gauche, le haut dirigeant des talibans Anas Haqqani, au centre droit, Abdullah Abdullah, deuxième à droite, chef du Conseil de réconciliation nationale de l’Afghanistan et ancien négociateur du gouvernement avec les talibans, et d’autres membres de la délégation des talibans se sont réunis à Kaboul mercredi.

Les deux anciens dirigeants ont dit vouloir travailler pour une réconciliation nationale.

On ignore pour l’instant si d’autres opposants comptent tenir des pourparlers pour se rallier à un gouvernement taliban ou s’ils envisagent de se battre. Parmi les adversaires du régime, on compte l’ex-vice-président Amrullah Saleh, qui s’est déclaré mardi « légitime président par intérim », citant la Constitution afghane, dans un message sur Twitter. Il s’est réfugié dans la vallée du Panchir, dans le nord du pays, traditionnelle poche de résistance et seul endroit échappant toujours au contrôle des talibans en Afghanistan.

L’ex-président parle

« Pour l’instant, je suis aux Émirats pour que le sang cesse de couler et que le chaos cesse », a déclaré l’ex-président afghan Ashraf Ghani dans une vidéo mise en ligne sur sa page Facebook mercredi. Assis devant le drapeau de l’Afghanistan, l’homme, qui a fui Kaboul dimanche dernier, a dit soutenir les négociations entre les talibans et deux anciens dirigeants, Hamid Karzai et Abdullah Abdullah. Il s’adressait directement aux Afghans pour la première fois depuis son exil.

PHOTO AGENCE FRANCE-PRESSE

Capture d’écran extraite d’un message vidéo diffusé sur la page Facebook de l’ancien président afghan Ashraf Ghani

Le ministère des Affaires étrangères émirati avait annoncé plus tôt dans la journée qu’Ashraf Ghani, dont le lieu de refuge avait jusqu’alors été tenu secret, avait été accueilli dans le riche pays du Golfe « pour des raisons humanitaires ». Il s’y trouve avec sa famille.

De leur côté, les États-Unis ont affirmé mercredi qu’ils ne considéraient plus Ashraf Ghani comme un acteur sur la scène politique en Afghanistan. « Il n’est plus une personne qui compte en Afghanistan », a dit à la presse la numéro 2 du département d’État américain, Wendy Sherman, en refusant de commenter la décision des Émirats arabes unis de lui accorder l’asile.

Biden et Trudeau blâment les talibans

Attaqué et isolé depuis la prise de pouvoir fulgurante des talibans, le président des États-Unis Joe Biden a admis rencontrer « davantage de difficultés » à évacuer les Afghans que les Américains, au moment où Washington accuse les talibans de ne pas laisser un libre accès à l’aéroport de Kaboul à tous ceux qui voudraient fuir.

PHOTO SUSAN WALSH, ASSOCIATED PRESS

Joe Biden, président des États-Unis, en conférence de presse, mercredi

Comme son homologue américain, le premier ministre Justin Trudeau blâme les points de contrôle des talibans, plutôt que la bureaucratie gouvernementale canadienne, pour ce que plusieurs considèrent comme l’extrême lenteur des efforts du Canada à sauver les anciens interprètes afghans et leur famille coincés en régime taliban.

L’opération d’évacuation des milliers de civils américains, canadiens et afghans, qui se pressent aux abords de l’aéroport de Kaboul pour tenter de fuir le pays après le retour au pouvoir des talibans, dépend entièrement du bon vouloir des insurgés.

« Il faut simplement que les gens puissent se rendre à l’aéroport en ce moment. Les talibans les empêchent de le faire, c’est pourquoi nous avons vu qu’un certain nombre d’avions transportant des personnes n’étaient pas pleins », a dit Justin Trudeau, en conférence de presse mercredi.

Aide étrangère

Des pays ont promptement annoncé qu’ils ne reconnaissaient pas le régime taliban. Lundi, l’Allemagne, parmi les 10 plus grands donateurs de l’Afghanistan, a suspendu son aide au développement.

Or, les flux d’aide ont représenté 42,9 % du PIB afghan en 2020 et la situation pourrait devenir grave au pays, l’un des plus pauvres au monde, craignent des experts.

« Je ne dis pas qu’il faut envoyer des milliards au pays, dit Nipa Banerjee. Mais pour le moment, de complètement couper l’aide et d’isoler les talibans est très dangereux. »

Elle rappelle la situation en 1996-2001, alors que les talibans, qui dirigeaient l’Afghanistan, n’étaient reconnus que par une poignée de pays. « Ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient à l’intérieur du pays », remarque-t-elle, prônant une aide assortie d’un plan précis.

Les revenus actuels des talibans, provenant principalement d’activités criminelles comme le trafic de drogue et l’extorsion, sont estimés entre 300 millions et plus de 1,5 milliard US par an, selon un rapport du Comité des sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies, publié en mai 2020.

L’accès à l’aide humanitaire est aussi une source d’inquiétude et « est une question de survie pour des millions d’Afghans », a averti l’Organisation mondiale de la santé (OMS), craignant une interruption des services. Pendant les six premiers mois de l’année, alors que les tensions étaient vives, des établissements sanitaires ont été visés par des attaques et 12 professionnels de la santé ont été tués, a rappelé l’OMS.

Avec l’Agence France-Presse, la BBC, La Presse Canadienne et l’Associated Press