Tout a commencé jeudi dernier, à Machhad, dans le nord-est de l'Iran. Excédés par l'annonce d'une prochaine hausse du prix de l'essence et de coupes dans les subsides aux plus démunis, quelques centaines de protestataires ont manifesté leur mécontentement contre le président Hassan Rohani et l'échec de ses politiques économiques.

Six jours plus tard, les manifestants ne se comptent plus par centaines, mais par milliers. Le mouvement de protestation a fait escalade pour s'étendre à une vingtaine d'autres villes. Près d'un demi-millier de personnes ont été arrêtées, et au moins 21 personnes ont perdu la vie dans cette crise hors norme pour la République islamique iranienne.

La dernière fois que les Iraniens étaient sortis dans les rues, c'était pour protester contre les résultats électoraux de la présidentielle de 2009. Ce qui se passe depuis le 28 décembre est totalement différent de ce qu'on avait qualifié à l'époque de « révolution verte », notent les observateurs.

« C'est un mouvement complètement nouveau, pour la première fois, les protestations s'étendent hors de la capitale, il n'y a pas de leader, pas d'organisation centrale, ni de demandes spécifiques », constate Farhad Souzanchi, Torontois d'origine iranienne qui dirige un site d'information sur l'actualité politique en Iran.

« Certaines des manifestations ont lieu dans des villes tellement petites que la plupart des Iraniens ne sauraient même pas les situer sur une carte, on n'a jamais vu ça ! » - Farhad Souzanchi

Autre particularité du mouvement de révolte des derniers jours : contrairement aux protestations de 2009, qui avaient été menées par les classes moyennes urbaines, cette fois, les manifestants « sont des gens qui ont faim », comme le dit une Montréalaise originaire d'Iran, Sahar Mofidi.

Comme d'autres observateurs, celle-ci croit que des rivalités entre conservateurs et réformateurs au sein du régime iranien ont pu jouer un rôle dans le mouvement de colère actuel. D'autant plus que la ville de Machhad abrite deux leaders ultraconservateurs qui seraient bien contents de voir trébucher le président réformateur Hassan Rohani.

Mais que la révolte ait été téléguidée ou simplement instrumentalisée par les adversaires d'une réforme du régime, ceux-ci ont depuis été dépassés par son ampleur et son intensité.

Car les slogans scandés par les manifestants sont aussi sans précédent. En 2009, les manifestants soutenaient les figures politiques réformatrices du régime iranien.

« Aujourd'hui, ils rejettent le régime au complet, certains appellent même à un retour du chah », s'étonne Farhad Souzanchi. Le vent de dénonciation a même ciblé l'ayatollah Ali Khamenei, et on a vu des manifestants déchirer des affiches représentant le guide suprême de l'Iran - geste sans précédent depuis l'établissement de la République islamique iranienne.

« Ce n'est ni une révolution ni un mouvement politique, mais plutôt l'explosion des frustrations longtemps refoulées face à la stagnation politique et économique », résume Ali Vaezi, chercheur et spécialiste de l'Iran à l'International Crisis Group, dans une entrevue au quotidien Libération.

Une stagnation que le président réformateur Hassan Rohani, réélu pour un deuxième mandat en mai dernier, n'a pas réussi à vaincre.

GENÈSE DE LA CRISE

Comment en est-on arrivé là ? Le déclencheur immédiat de la crise, croient plusieurs observateurs, c'est le budget du gouvernement iranien qui doit entrer en vigueur en mars prochain, et que le président Rohani a rendu public en décembre.

Non seulement prévoit-il une hausse de 50 % du prix de l'essence, mais en plus, il mise sur des coupes budgétaires qui toucheront les classes populaires.

Et puis, dans ses prévisions budgétaires, le président Rohani a pour la première fois publié les dépenses des fondations et institutions religieuses, mettant au jour leur richesse et leurs exemptions fiscales.

Déçus de ne pas avoir vu leurs conditions matérielles s'améliorer de manière significative malgré la levée partielle des sanctions internationales qui a suivi la signature de l'accord sur le nucléaire iranien, les Iraniens ont eu la preuve flagrante des privilèges dont bénéficie leur élite religieuse. Pendant que la majorité doit composer avec un chômage endémique.

Le ras-le-bol actuel cible aussi le financement de mouvements politiques à l'extérieur de l'Iran, comme le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien.

« Pas Gaza, pas le Liban, ma vie en Iran », affirme l'un des slogans scandés au cours des six derniers jours.

Depuis la signature de l'accord nucléaire, la situation économique de l'Iran s'est améliorée, nuance Naysan Rafati, de l'International Crisis Group. 

L'inflation a été jugulée, notamment. Mais le taux de chômage a augmenté et les investissements étrangers n'ont pas afflué en Iran, comme l'avait promis Rohani.

La déception est généralisée. En gros, les Iraniens ont le sentiment que le modèle Rohani ne fonctionne pas, résume Clément Therme, spécialiste de l'Iran au sein de l'Institut international d'études stratégiques, dans une entrevue à Libération.

Et maintenant que ces frustrations se sont exprimées, « le régime aura du mal à refermer le couvercle ».

Ce ne sera pas faute d'essayer. Depuis le début de la crise, Téhéran a procédé à des centaines d'arrestations, il a bloqué le réseau Telegram, qui a été le principal outil de communication sur les manifestations, tandis que l'unique journal qui couvrait les manifestations, Jameefarda, vient d'annoncer la fin de sa publication.

En accusant les puissances étrangères comme les États-Unis, Israël et l'Arabie saoudite d'avoir fomenté la révolte, Téhéran semble maintenant s'aligner pour renforcer la répression, au moment où le mouvement de révolte entre dans sa deuxième semaine.