« Bien de ceux qui fustigent le terme libéralisme ignorent en réalité ce qu'il veut dire », écrivait le cofondateur du blogue Libérez les libéraux saoudiens, Raif Badawi, en avril 2012.

Dans ce texte, il estimait « inacceptable » d'imposer une « approche intellectuelle unique, une façon de penser unique, et une idée dominante qui dénigre sans cesse les autres et clame qu'elle est seule détentrice de vérité ».

Deux mois plus tard, il se retrouvait en prison.

Il s'agit d'un des 14 textes « interdits et inaccessibles » de Raif Badawi qui composent le recueil 1000 coups de fouet parce que j'ai osé parler librement, qui sort aujourd'hui au Québec aux éditions Edito, à quelques jours du troisième anniversaire de son emprisonnement.

Les artistes Émile Proulx-Cloutier, Monique Proulx et Geneviève Rochette ainsi que le journaliste Winston McQuade liront des extraits du livre au cours du lancement public qui aura lieu cet après-midi à l'espace culturel Georges-Émile-Lapalme de la Place des Arts, à Montréal.

Dans la préface qu'il a lui-même écrite du fond de sa prison, Raif Badawi résume les raisons qui l'avaient poussé à prendre la plume, à l'époque : « abattre les murs de l'ignorance, effriter l'inviolabilité du clergé » et promouvoir « la liberté d'expression » ainsi que « les droits de la femme et de ceux des minorités » en Arabie saoudite.

Il émane effectivement de ses écrits une aversion pour l'extrémisme religieux, l'interdiction de la critique et la violence politique (voir les extraits).

Il appelle à la tolérance envers les non-musulmans en écrivant : « de la même façon que les autres respectent les différences qui nous caractérisent, nous devons respecter les leurs ».

Raif Badawi critique également le traitement de la femme dans la société saoudienne, dénonçant la « phobie de la mixité que nous avons inventée il y a une trentaine d'années ».

«Il n'a commis aucun crime»

Ce livre est la preuve que Raif Badawi « n'a commis aucun crime et [qu']il n'a même insulté personne, ni l'islam », a répondu à La Presse Mme Haidar par la voix de son interprète, la coordonnatrice d'Amnistie internationale pour l'Estrie, Mireille Elchacar.

« Les gens pourront voir par eux-mêmes que Raif ne mérite pas un tel châtiment. »

Amnistie internationale, qui considère Raif Badawi comme un « prisonnier d'opinion » parce qu'il a été condamné « uniquement » pour s'être exprimé, se dit soulagée qu'il n'ait pas été flagellé, vendredi, malgré la confirmation de sa peine par la Cour suprême saoudienne, quelques jours plus tôt.

« Par contre, le fait qu'on ne donne pas d'explication et que la peine n'est pas annulée reste inquiétant », a indiqué à La Presse Mme Elchacar.

Ensaf Haidar craignait justement que la réitération de la peine de son mari serve de prétexte au régime saoudien pour recommencer à le flageller.

Au retour d'un séjour en Europe, où Mme Haidar avait constaté l'appui international à la cause de son mari, la nouvelle avait eu l'effet d'une douche froide.

Le découragement n'a toutefois pas duré longtemps, assure celle qui a trouvé refuge au Québec avec les trois enfants du couple.

« À présent, je suis prête à recommencer à me battre. »

PHOTO FOURNIE PAR LA MAISON D'ÉDITION

Extraits des textes de Raif Badawi

«La question est simple: la femme travaille au même titre que l'homme dans le domaine public; elle a autant besoin que l'homme de travailler, parfois même beaucoup plus que lui. Alors, allons-nous enfin abandonner notre discours machiste stérile, et fermer la porte aux grandes excuses? Ou allons-nous continuer, comme nous le faisons aujourd'hui, à nous en prendre aux Saoudiennes qui ont besoin de gagner leur vie?»

- tiré du texte «La femme à ses côtés», écrit en septembre 2011

«Je ne suis pas pour l'occupation d'un pays arabe par Israël, mais, en revanche, je ne veux pas remplacer Israël par une nation islamique qui s'installerait sur ses ruines, et dont le seul souci serait de promouvoir une culture de mort et d'ignorance parmi ses fidèles, à une époque où nous avons désespérément besoin de ceux qui en appellent à une culture de vie et de développement, propre à cultiver l'espoir dans nos âmes.»

- tiré du texte «Pour une culture de la vie!», écrit en septembre 2010

«Il n'échappe à aucun observateur que nos musulmans d'Arabie saoudite ne respectent pas les croyances d'autrui; pire, ils considèrent les autres comme des apostats, tout non-musulman étant infidèle et, dans un cadre plus étroit, tout musulman non hanbalite [la frange plus conservatrice des quatre écoles de pensée religieuse de l'islam sunnite] étant dissident. Alors, comment pouvons-nous, avec de tels individus, bâtir une civilisation humaine, et avoir des relations normales avec six milliards de personnes, dont plus de quatre milliards et demi ne sont pas de confession musulmane?»

- tiré du texte «À propos de l'anniversaire du 11 septembre», écrit en septembre 2010