Le président iranien a entamé hier une visite controversée au Liban qui l'amènera aujourd'hui dans des villages à la frontière avec Israël.

Il est environ 19h. Mahmoud Ahmadinejad, en costume noir, arrive sur l'estrade de la place Raya entouré d'une cohorte de personnalités et de gardes du corps. Il apparaît presque minuscule à côté de l'immense panneau représentant Khomeyni et l'actuel guide suprême, Ali Khamenei, installé par le Hezbollah.

Aussitôt, des dizaines de milliers de militants du Parti de Dieu se lèvent sur leur chaise, drapeau iranien à la main, scandant d'une seule voix: «Khoch Omadid, Khoch Omadid, Khoch Omadid!» Bienvenue en farsi.

Dans la banlieue sud de Beyrouth, la Dahieh, fief du Hezbollah, Mahmoud Ahmadinejad arrive en terrain conquis. Le président iranien est en effet considéré comme un vrai héros par une grande majorité de la communauté chiite.

La République islamique a été le principal État à financer la reconstruction après la guerre avec Israël, devant l'Arabie Saoudite. «L'Iran a injecté près de 850 millions de dollars pour la reconstruction depuis 2006», affirme Waddah Charara, spécialiste du Hezbollah.

Toujours enclin à dénoncer le «cancer sioniste», le discours du président iranien trouve aussi un écho chez des populations décimées par les nombreuses opérations de l'armée israélienne en territoire libanais depuis plus de 30 ans.

L'Iran admiré, craint ou détesté

Fait nouveau, l'Iran a récemment affiché sa volonté d'aider l'État libanais, et non seulement le Hezbollah. Après la suspension de l'aide militaire américaine au Liban à la suite des affrontements frontaliers entre les armées libanaise et israélienne en août 2010, la République islamique a proposé d'aider l'armée libanaise en lui fournissant notamment des missiles antiaériens.

L'Iran a également signé, lors de la visite d'Ahmadinejad, deux ententes qui accordent des prêts bonifiés de 450 millions de dollars dans le secteur de l'énergie, afin d'aider à réduire les pénuries en eau et en électricité qui frappent régulièrement le Liban. Jusque-là, les échanges commerciaux entre l'Iran et le Liban restent pourtant très faibles (87 millions de dollars en 2009).

Toute une frange de la population libanaise reste cependant très méfiante, voire virulente à l'égard du «parrain» iranien. La visite d'Ahmadinejad a suscité des réactions de rejet au sein de la majorité parlementaire du premier ministre Saad Hariri, qui a condamné «l'ingérence iranienne».

Plus de 250 personnalités ont également adressé au chef de l'État iranien une lettre ouverte l'invitant à ne pas se servir du Liban comme avant-poste dans la «bataille universelle» de Téhéran. «Nous ne voulons pas que le Liban suive l'Iran en tête du front de la lutte contre Israël, ce n'est pas notre combat», explique ainsi Marie, chrétienne du quartier Achrafieh, à Beyrouth.

«Le Hezbollah a toujours su prendre en compte ses intérêts avant ceux des Iraniens, même si les liens sont très forts entre eux», dit Joseph Alagha, spécialiste du Parti de Dieu établi aux Pays-Bas. «En 2009, lors de la guerre de Gaza, l'Iran souhaitait que le Parti de Dieu ouvre un second front au Nord pour soulager les Palestiniens, mais le Hezbollah a refusé au nom de l'intérêt national libanais.»

Bras de fer en vue

Malgré les critiques et les appréhensions, Mahmoud Ahmadinejad a décidé de se rendre aujourd'hui dans des villages du sud du Liban, tout près de la frontière israélienne. Paradoxalement, la majorité des observateurs considère que c'est après la visite du président iranien que le bras de fer entre le Hezbollah et la coalition de Saad Hariri, fils du premier ministre libanais assassiné, pourrait être vraiment lancé. D'ici au mois de décembre, le Tribunal spécial pour le Liban, chargé de juger les assassins de Rafic Hariri, doit en effet publier son acte d'accusation, qui mettrait directement en cause des membres du Hezbollah.