Tout a éclaté il y a deux semaines, avec une scène qui aurait été banale à peu près partout dans le monde - mais pas en Afghanistan.

Ce jour-là, une jeune fille marchait dans une rue de Maimana, la capitale de la province de Faryab, dans le nord-ouest du pays. La voyant passer, deux garçons lui ont crié: «Je t'aime!»

Effrayée, la fillette s'est précipitée chez elle pour raconter l'incident à sa famille. L'explosion de colère a été d'autant plus forte que la «victime» de cette offense était une Ouzbèke, le groupe ethnique majoritaire dans la région. Les deux garçons, eux, étaient des Pachtounes, l'ethnie du président Hamid Karzaï. Il n'en fallait pas plus pour plonger Maimana dans de violentes émeutes, qui ont fait deux morts et des dizaines de blessés.

Cette histoire n'est qu'un exemple du climat qui règne en Afghanistan sept semaines après la tenue d'un scrutin dont les résultats ne sont toujours pas connus.

Les candidats à l'élection du 20 août ont misé fort sur la carte ethnique, ce qui a exacerbé les tensions à un point tel qu'il a suffi d'un «je t'aime» pour mettre le feu aux poudres, souligne Jean McKenzie, responsable du bureau afghan de l'Institute of War and Peace Reporting.

Les tensions demeurent vives à Maimana. Mais le climat est aussi tendu dans d'autres provinces du Nord. Et l'étau de l'insécurité se resserre autour de Kaboul. Il y a encore un an, on pouvait voyager sans problème jusqu'à Wardak, à moins d'une heure de route de la capitale, signale Mme McKenzie. Aujourd'hui, cette ville est très instable et risque de tomber sous le contrôle des talibans...

Devant la dégradation de la situation, certains, comme le général américain Stanley McChrystal, commandant de la Force internationale d'assistance et de sécurité en Afghanistan, appellent à un envoi massif de renforts militaires. D'autres, comme le vice-président Joe Biden, pensent qu'il vaut mieux réduire les effectifs étrangers, ou même se retirer en douce.

L'idée fait aussi du chemin au Canada. «Notre mission est un échec», écrit le sénateur libéral Colin Kenny dans un article publié dans le Toronto Star. Pour cet homme qui préside le comité sénatorial sur la Défense, «il est temps de sonner la retraite».

Mais qu'arriverait-il en Afghanistan si les forces étrangères se retiraient après huit ans d'une guerre qui tourne de plus en plus en leur défaveur? «Ce serait très laid, il y aurait rapidement beaucoup de violence», prédit Jean McKenzie, qui vit dans ce pays depuis cinq ans.

«Cela équivaudrait à abandonner le pays à l'insécurité et à une détérioration politique qui permettrait au bout du compte le retour des talibans et d'Al-Qaeda», opine Mark Schneider, vice-président de l'International Crisis Group.

L'analyste afghan Haroun Mir va plus loin. «Si l'OTAN se retire, les talibans et Al-Qaeda reprendront rapidement le contrôle du pays. Ils n'ont même pas besoin de combattre pour prendre Kaboul, parce qu'ils ont suffisamment de sympathisants dans les mosquées des grandes villes qui agiraient en leur nom.»

Plus que ça: un tel retrait serait interprété comme une victoire d'Oussama ben Laden contre la plus grande puissance mondiale. «Il deviendrait le nouveau Saladin, plus personne ne pourrait freiner sa popularité», prédit Haroun Mir.

L'envoi massif de troupes est de plus en plus difficile à vendre politiquement à des électeurs de plus en plus opposés à cette guerre. Et le retrait est difficile à envisager. Huit ans après que George W. Bush eut lancé son fameux «La paix et la liberté vaincront», l'Afghanistan ressemble de plus en plus à une trappe sans issue.

Preuves de fraude

Un document confidentiel de l'ONU, rendu public hier par le Washington Post, fait état de fraudes massives à l'élection présidentielle afghane. Ces fraudes auraient surtout profité au président sortant Hamid Karzaï qui détient 54,6% des voix, selon des résultats préliminaires. Exemple: dans la province du Helmand, dans le Sud, 134 804 votes ont été enregistrés, dont 112 873 pour M. Karzaï. Mais la mission de l'ONU en Afghanistan estime que seules 38 000 personnes ont voté le 20 août! - D'après AFP