Des dizaines de milliers de civils pris au piège des combats entre l'armée et les talibans dans le chef-lieu de Swat, dans le nord-ouest du Pakistan, s'enfuyaient vendredi à la faveur d'une levée temporaire du couvre-feu par les militaires, prêts à attaquer.

Et l'ONU a annoncé que le nombre de personnes déplacées après 20 jours d'offensive de l'armée approchait le million.

   La localité de Mingora, peuplée d'ordinaire de 300.000 habitants, est devenue depuis plus d'une semaine une ville fantôme, privée d'électricité, d'eau, de vivres. Les hôpitaux ont fermé et les habitants se terrent chez eux.

   Selon les témoignages recueillis au téléphone, les talibans, liés à Al-Qaïda, tiennent la rue et ont commencé à creuser des tranchées et miner les principaux accès, pour ralentir la progression de l'armée, mais aussi, selon les militaires, pour empêcher les civils de fuir et constituer ainsi des boucliers humains.

   Mais de nombreux déplacés ont également raconté que des bombardements sans discrimination de l'armée tuaient des civils, à Mingora ainsi que dans les trois districts où les militaires sont passés à l'offensive: Lower Dir, Buner et Swat.

   L'armée encercle depuis plusieurs jours Mingora, mais assure qu'elle n'entend pas donner l'assaut terrestre avant d'avoir «élaboré une stratégie» lui permettant de minimiser les «dommages collatéraux».

   Elle estimait à environ 200.000 le nombre d'habitants toujours pris au piège dans la ville jeudi soir.

   Vendredi matin, l'armée a levé huit heures durant son couvre-feu à Mingora et ses environs, laissant passer des centaines de véhicules pour évacuer des civils.

   A la mi-journée, des centaines d'autocars, de voitures, de motos et autres véhicules à moteur traversaient un poste de contrôle de l'armée à Shaguna Naka, à la limite de la zone des combats, a rapporté une journaliste de l'AFP.

   Des dizaines de milliers d'habitants de Mingora s'entassaient jusque sur les toits de ces véhicules entre baluchons et matelas.

   Ils se dirigeaient vers Mardan, à une trentaine de km de là, où sont établis les premiers camps de déplacés.

   «La situation là-bas est vraiment, vraiment épouvantable, il n'y a plus aucun espoir de pouvoir y vivre», lance Ibrahim, qui arrive d'Odigram, dans la banlieue de Mingora. «A Mardan, on pourra s'asseoir sous un arbre, on veut juste assurer la sécurité de nos enfants car là-bas, on pensait mourir à chaque seconde, sous une pluie de bombes et d'obus de mortiers», ajoute-t-il.

   Dans sa voiture criblée d'impacts de balles, Naeem Akhtar, qui travaillait dans une banque de Mingora, passe Shaguna Naka avec sa femme et ses deux enfants. Il accuse l'armée d'avoir bombardé sa maison. «Quatre membres de ma famille ont été tués, nous venons de passer deux semaines en enfer, pas à cause des talibans, mais de l'armée», lance-t-il.

   Après 20 jours d'offensive, plus de 987.000 civils ont déjà fui les affrontements dans les trois districts, et s'entassent pour la plupart dans des camps de déplacés, a indiqué à Genève le Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR).

   Les militaires ont affirmé vendredi avoir tué 55 talibans en 24 heures. Au fil de bilans quotidiens impossibles à vérifier, l'armée a assuré à ce jour avoir tué plus de 940 talibans en trois semaines et n'avoir perdu que 45 soldats. Les médias sont tenus loin des zones de combats.

   Cette vallée de Swat n'est qu'à une centaine de kilomètres d'Islamabad, la capitale de l'unique puissance nucléaire du monde musulman, meurtrie depuis juillet 2007 par le terrorisme islamiste.

   Al-Qaïda a reconstitué ses forces plus à l'ouest, dans les zones tribales frontalières avec l'Afghanistan, fief des talibans pakistanais, et qui servent également de base arrière aux talibans afghans.

   Mais la récente progression de ces combattants islamistes au-delà de la vallée de Swat, a poussé les Américains à exiger du Pakistan de passer à l'offensive.