Seul chef d'État présent à la conférence de l'ONU sur le racisme, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad n'avait pas prononcé deux phrases de son discours, hier, que déjà il soulevait une tempête diplomatique. Outrés par ses propos sur Israël, une quarantaine de diplomates européens ont quitté la salle en cortège pendant son allocution.

Connu pour ses positions extrêmes - il a déjà menacé de «rayer Israël de la carte» -, Mahmoud Ahmadinejad a profité de la tribune qui lui était offerte hier matin à Genève pour faire le procès du gouvernement israélien, «un régime cruel, d'oppression et raciste dans la Palestine occupée», a-t-il lancé.

 

Le président iranien a aussi envoyé une salve contre les alliés occidentaux d'Israël. «Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, (les alliés) ont eu recours à l'agression militaire pour priver de terres une nation entière sous le prétexte de la souffrance juive», a ajouté le chef d'État iranien.

Malgré les imprécations de trois manifestants déguisés en clown qui criaient «raciste, raciste» à son intention et le coup de théâtre des diplomates européens, Mahmoud Ahmadinejad, impassible, n'a pas interrompu son discours, le tout premier prononcé dans le cadre de la deuxième Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance des Nations unies. Il n'y avait pas que de la désapprobation dans l'air: plusieurs personnes dans la salle de conférence ont applaudi et crié leur soutien au président iranien.

Dans les minutes qui ont suivi le discours contesté, des réactions ont fusé de partout dans le monde. L'ambassadeur adjoint des États-Unis à l'ONU a qualifié «d'exécrable» et de «honteux» les propos d'Ahmadinejad. Le président français Nicolas Sarkozy a dénoncé ce qu'il considère «un appel intolérable à la haine raciste».

Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a déploré pour sa part l'intervention du politicien iranien qui, selon lui, «accuse, divise et provoque».

Cette conférence, baptisée Durban II par plusieurs, en référence à la première rencontre houleuse du même genre qui a eu lieu en Afrique du Sud en 2001, était déjà partie du mauvais pied. Plusieurs pays, dont le Canada, l'Australie, l'Italie et Israël l'ont boycotté bien à l'avance. Juste avant son ouverture, les États-Unis et les Pays-Bas, ont signifié qu'ils n'y participeraient pas. Des parties de la déclaration finale de la conférence visant Israël sont au coeur du litige.

«Certains croient que les pays occidentaux auraient dû être impliqués dès le début pour obtenir de meilleurs résultats, mais je suis loin d'en être convaincu» a dit hier à La Presse l'ancien ambassadeur canadien aux Nations unies, Paul Heinbecker. Ce dernier avait claqué la porte de Durban I après que le Canada y fut accusé «d'esclavage».

Schisme Orient-Occident

Selon Sami Aoun, le discours d'Ahmadinejad et l'approbation qu'il a suscité dans une partie de l'audience, est symptomatique d'un malaise plus profond au sein des Nations unies.

«Ahmadinejad exprime en quelque sorte la volonté de beaucoup de pays qui veulent désoccidentaliser les grandes institutions internationales. Il y a beaucoup d'antiaméricanisme et de mécontentement dans ces pays à l'égard de la politique israélienne», explique le professeur de science politique de l'Université de Sherbrooke. Si au sein du G20, les pays du Sud sont peu représentés, dans les instances de l'ONU, ils sont grandement majoritaires.

 

Journaliste emprisonnée: Geste d'ouverture

Virulent hier sur la tribune onusienne, le président iranien s'est montré plus conciliant dans un autre dossier touchant les relations irano-américaines. Dimanche, il a demandé au procureur de Téhéran de faire le «nécessaire» pour qu'une justice transparente soit rendue à l'endroit de la journaliste américaine Roxana Saberi, présentement emprisonnée en Iran. Âgée de 31 ans, la reporter irano-américaine travaille pour la BBC, Fox News et la National Public Radio. Le 13 avril, elle a été reconnue coupable «d'espionnage» par la justice iranienne et condamné à huit ans de prison. Hier, la secrétaire d'État des États-Unis, Hillary Clinton, a demandé au président iranien de joindre le geste à la parole en facilitant la libération de Mme Saberi. Selon James Devine, le geste d'ouverture d'Ahmadinejad n'est pas une première. «C'est assez courant en Iran de donner une sentence très dure, puis de la réduire dans une démonstration de compassion», note le professeur de science politique à l'Université Concordia, en rappelant que les élections présidentielles iraniennes arrivent à grands pas.