L'un des prêcheurs radicaux les plus influents d'Occident, suivi sur les réseaux sociaux par les terroristes canadiens Martin Couture-Rouleau et Michael Zehaf Bibeau, vient d'être condamné à plus de cinq ans de prison au Royaume-Uni pour avoir soutenu le groupe armé État islamique (EI). En 2013, il avait prédit un attentat au Canada.

Les Anglais le surnomment «l'homme le plus détesté» de leur pays, le «prêcheur de haine».

Anjem Choudary, avocat de 49 ans d'origine pakistanaise, prédicateur emblématique dans les milieux islamistes britanniques, marchait sur une fine ligne depuis plusieurs années.

Il s'était fait «le porte-parole des extrémistes, faisant des commentaires des plus déplaisants, mais sans jamais franchir le seuil de la criminalité», comme l'a expliqué au Guardian le commandant Dean Haydon, chef de l'escouade antiterroriste de Scotland Yard.

Du moins jusqu'à ce que le prédicateur appelle à soutenir l'EI dans une série de vidéos publiées sur la plateforme YouTube, après avoir prêté allégeance au chef du groupe terroriste, Abou Bakr al-Baghdadi, donnant ainsi les munitions nécessaires aux autorités pour l'arrêter. Un «tournant» pour la police; un cas qui pourrait se reproduire chez nous avec l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions de la loi antiterroriste.

Un attentat au Canada

Cela faisait bien 20 ans que Choudary était dans la ligne de mire des autorités, multipliant les sorties controversées et les propos extrémistes, parfois au sujet du Canada. Dans une entrevue accordée à La Presse en 2013, un an avant les attaques de Saint-Jean-sur-Richelieu et d'Ottawa, il avait par exemple martelé que le pays risquait de subir un attentat terroriste en raison des politiques étrangères d'Ottawa de l'époque. «Le soutien apporté à Israël et la guerre à la terreur, considérée par les musulmans comme une guerre contre l'Islam, placent le Canada dans la même position que les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France», avait-il déclaré.

Martin Couture-Rouleau, auteur de l'attentat contre des militaires à Saint-Jean-sur-Richelieu, et Michael Zehaf Bibeau, le tireur du parlement, suivaient tous deux Anjem Choudary sur Twitter. Les a-t-il inspirés?

Après leurs crimes, le prédicateur britannique avait pris ses distances, sans toutefois les condamner. «La presse canadienne tente de me relier au frère Abu Ibrahim Canadi/Martin "Ahmad" Rouleau (qu'Allah lui accorde le paradis)», avait-il écrit sur Twitter en 2014.

«Le fait que quelqu'un vous suive sur Twitter ne veut pas nécessairement dire que vous l'avez incité à faire quoi que ce soit.» - Anjem Choudary à l'agence de presse Reuters

Dans la même entrevue, il prédisait que la Grande-Bretagne serait bientôt le théâtre d'attentats semblables à ceux survenus au Canada à titre de riposte à son implication militaire dans plusieurs pays musulmans.

Il ajoutait que les événements au Canada prouvaient qu'il n'était pas nécessaire de posséder une formation militaire pour s'attaquer à des soldats.

Chez lui, ce fils de courtier était devenu une figure familière et détestée, multipliant les manifestations devant les mosquées, les ambassades et les postes de police. Son objectif ultime, disait-il, était de faire flotter le drapeau de l'Islam au-dessus de la résidence du premier ministre.

Il avait organisé un rassemblement d'appui à Oussama ben Laden devant l'ambassade des États-Unis à Londres en 2011.

Au-delà du Royaume-Uni

Choudary compte des disciples dans plusieurs pays, dont certains chez nous.

Un rapport de la GRC sur l'utilisation des médias sociaux par les mouvances extrémistes obtenu par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information en 2013, soulignait à quel point l'influence de l'homme dépassait les frontières. L'analyse de la GRC se basait sur les façons dont deux terroristes, un Européen et un Américain, avaient absorbé divers discours sur les réseaux sociaux avant d'être neutralisés. Tous deux étaient «probablement influencés par les mêmes prêcheurs radicaux, en particulier Anjem Choudary et Omar Bakri Muhammad [autre prêcheur proche de Choudary]», affirmait le document.

Interrogé par La Presse, M. Choudary avait qualifié le rapport de «pure supposition basée sur notre présence en ligne».

À l'été 2015, après son arrestation, une entreprise d'analyse des données internet avait estimé que 69% des usagers de Twitter qui faisaient circuler le mot-clic «#FreeAnjemChoudary» (libérez Anjem Choudary) provenaient du Royaume-Uni, des États-Unis et du Canada.

Plusieurs chercheurs qui étudient la radicalisation au Canada ont préféré ne pas commenter son cas précis, hier, en soulignant que son influence ici n'avait jamais été mesurée.

Pas de remords

La sentence de Chouary était très attendue en Grande-Bretagne. Hier, dans la salle d'audience, elle a été accueillie par les cris «Allahou Akbar!» («Dieu est le plus grand!»), lancés par les partisans de l'avocat de formation, ont rapporté les médias locaux.

Le juge qui l'a condamné à cinq ans et demi de prison a déclaré qu'il le considérait comme «dangereux».

«Vous ne montrez aucun remords pour tout ce que vous avez dit ou fait et je ne doute pas que vous continuerez à transmettre votre message chaque fois que vous le pourrez», a déclaré le magistrat.

«Le jury est certain que vous avez sciemment franchi la ligne entre la libre expression de vos points de vue et l'acte criminel consistant à inviter à soutenir une organisation engagée dans d'effroyables actes de terrorisme.»

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L'AFFAIRE CHOUDARY EN BREF

2014 : Dans une vidéo publiée sur YouTube, Choudary et son bras droit Mohammed Rahman (lui aussi condamné) prêtent allégeance au groupe armé État islamique (EI).

Août 2015 : L'homme est arrêté et accusé en compagnie de son acolyte. «Nous avons conclu qu'il y avait suffisamment de preuves et qu'il est dans l'intérêt public de poursuivre Anjem Choudary et Mohammad Rahman pour avoir invité à soutenir l'EI, une organisation terroriste interdite», dit un communiqué des services britanniques du procureur de la Couronne.

Juillet 2016 : Au terme d'un procès, un tribunal londonien reconnaît Anjem Choudary coupable de propagande au profit de l'EI, notamment sur l'internet.