La Turquie, qui a abattu un avion militaire russe le 24 novembre au-dessus de la frontière syrienne, a agi de manière «hostile» envers la Russie, a déclaré jeudi Vladimir Poutine qui s'est dit «révolté» par l'attitude d'Ankara après l'incident.

«Les actes du pouvoir turc concernant notre avion qu'ils ont abattu n'étaient pas bienveillants, mais hostiles», a martelé le président russe lors de sa conférence de presse annuelle, devant plus de mille journalistes.

Des F-16 turcs ont abattu un Soukhoï-24 le 24 novembre alors qu'il survolait la frontière turco-syrienne, provoquant la mort d'un des pilotes, ainsi que celle d'un soldat russe lors d'une opération pour récupérer l'équipage.

«Ils ont tiré sur notre avion, des gens ont été tués. Voilà ce qui m'a vraiment révolté: si c'était vraiment un accident, comme l'a dit le gouvernement turc (...) on prend son téléphone tout de suite et on s'explique», a-t-il déclaré.

«Au lieu de ça, ils sont vite allés courir à Bruxelles: "Alerte! On nous fait du tort!" Qui vous fait du tort? Nous avons attaqué quelqu'un? Non!», a-t-il continué, accusant la Turquie de «s'être cachée derrière l'OTAN», dont elle est membre.

«Quelqu'un, au sein du gouvernement turc, a décidé de lécher les Américains quelque part», a ajouté le président russe, connu pour son franc-parler.

Selon M. Poutine, la Turquie a abattu l'avion militaire russe pour que la Russie «fuie» la Syrie, où elle mène des frappes aériennes depuis le 30 septembre à la demande de Damas.

«Mais la Russie n'est pas ce genre de pays», a-t-il déclaré.

Au contraire, «nous avons renforcé notre présence en Syrie, augmenté le nombre de nos avions militaires. Avant, nous n'avions pas là-bas de systèmes de défense anti-aérienne, maintenant il y a des S-400. Si avant la Turquie survolait et violait continuellement l'espace aérien de la Syrie, eh bien, qu'ils volent maintenant!», a-t-il lancé.

Qualifiant de nouveau de «coup de poignard dans le dos» l'écrasement de l'avion russe, Vladimir Poutine a dit «ne pas voir de perspectives (d'amélioration) au niveau gouvernemental» pour les relations russo-turques.

Trump, un «homme brillant et plein de talent»

Le candidat à la primaire républicaine aux États-Unis, Donald Trump, est un «homme brillant et plein de talent», le «favori incontesté de la course présidentielle», a déclaré jeudi le président Vladimir Poutine cité par les agences russes.

«Il dit qu'il souhaite un autre niveau de relations, des relations plus étroites, plus profondes, avec la Russie, comment pourrait-on ne pas saluer cela? Évidemment que nous le saluons», a déclaré M. Poutine cité par des agences russes

Les frappes en Syrie aident Assad mais aussi l'opposition

Vladimir Poutine a également assuré que les frappes de ses avions de combat en Syrie soutenaient non seulement l'armée du président Bachar al-Assad, mais également l'«opposition armée» qui combat les djihadistes de l'organisation État islamique (EI).

Les déclarations surprenantes du chef de l'État russe interviennent à la veille d'une réunion sur la Syrie à New York entre ministres des Affaires étrangères, où sera notamment évoqué le sort du président syrien, élément crucial du règlement d'un conflit qui a fait plus de 250 000 morts et plusieurs millions de déplacés en quatre ans et demi.

Engagée militairement depuis le 30 septembre dans des raids aériens en Syrie, l'aviation russe est régulièrement accusée par les Occidentaux et les pays arabes de frapper l'opposition modérée qui combat le régime syrien plutôt que les djihadistes de l'État islamique.

Le Secrétaire d'État américain John Kerry s'était encore inquiété mercredi lors de sa visite à Moscou des frappes visant les groupes de l'opposition. Il avait néanmoins assuré que M. Poutine avait pris ses critiques «en considération».

Depuis plusieurs jours, le Kremlin et le ministère russe de la Défense multiplient les annonces d'une aide militaire apportée à ceux que les avions russes bombardaient jusque-là.

«Nous soutenons avec des frappes leurs efforts (de l'opposition, NDLR) dans la lutte contre l'EI tout comme nous soutenons ceux de l'armée syrienne», a ainsi déclaré M. Poutine lors de sa conférence de presse annuelle.

Le ministère de la Défense avait déjà assuré mardi que l'armée russe coordonnait son action en Syrie avec une force de 5000 hommes répartis dans 150 groupes de l'«opposition modérée et patriotique» combattant aux côtés de l'armée d'Assad.

Les militaires russes évoquent notamment des composantes de l'Armée syrienne libre (ASL), le principal groupe armé modéré en Syrie, ainsi que ce qui semble être une coalition de forces arabes et kurdes combattant les djihadistes dans le nord-est du pays.

Mercredi, la Coalition de l'opposition syrienne, principale formation d'opposants en exil, a réfuté toute aide militaire de la Russie à l'ASL, qui combat l'armée d'Assad. En revanche, elle a accusé les Kurdes de coopérer avec l'armée russe.

Moscou a dit à plusieurs reprises être prêt à établir des contacts avec l'Armée syrienne libre afin de coordonner leurs actions et trouver une issue politique au conflit, tout en ironisant sur son existence réelle ou celle de ses chefs.

Aucune «sanction» contre l'Ukraine

Le président Poutine a réfuté toute intention d'introduire des «sanctions» contre l'Ukraine après sa décision de suspendre la zone de libre-échange liant les deux pays, assurant que Moscou n'avait pas d'autre choix vu le rapprochement entre Kiev et l'Union européenne.

«Nous ne comptons pas introduire de quelconques sanctions contre l'Ukraine», a martelé le président russe.

M. Poutine a signé mercredi un décret qui suspend à partir du 1er janvier, date de l'entrée en vigueur de l'accord d'association entre Kiev et Bruxelles, l'application à l'Ukraine d'un traité de 2011 qui instaurait des tarifs douaniers préférentiels entre plusieurs ex-républiques soviétiques.

Concrètement, les marchandises en provenance du territoire ukrainien ne pourront pas passer la frontière russe en bénéficiant de droits de douane nuls, mais seront soumises à des droits de douane d'environ 7 % en moyenne, a expliqué le président russe.

«Cela n'est pas notre choix, nous nous sommes battus pour que cela n'arrive pas, mais on n'a pas voulu nous écouter», a-t-il assuré, jugeant que Kiev avait décidé «unilatéralement» de quitter la zone de libre-échange avec la Russie en se rapprochant de Bruxelles.

Selon lui, l'accord avec l'UE impose notamment aux marchandises en Ukraine de respecter la règlementation européenne, ce qui n'est pas le cas des marchandises russes. «Que va-t-il se passer, ils vont les jeter?», s'est interrogé M. Poutine.

La Russie estime en outre que l'accord risque d'inonder son marché de produits européens, ce que réfute Bruxelles.

Pour répondre aux inquiétudes de Moscou, l'UE a organisé, sans succès, de nombreuses négociations et de nouveaux pourparlers sont prévus lundi.

Faute d'accord, la Russie compte étendre à l'Ukraine au 1er janvier l'embargo déjà appliqué aux pays occidentaux qui la sanctionnent pour son implication présumée dans la crise ukrainienne.

À Bruxelles mercredi, le président ukrainien Petro Porochenko a reconnu que la suspension par Moscou des tarifs préférentiels allait «porter préjudice» à l'économie ukrainienne. «Nous sommes prêts à payer le prix pour notre liberté et notre choix européen», a-t-il lancé.

Le refus de l'ex-président ukrainien prorusse Viktor Ianoukovitch de signer l'accord avec l'UE fin 2013 avait été à l'origine du mouvement de contestation pro-occidental à Kiev qui avait abouti à sa fuite en Russie. Son départ a été suivi de l'annexion de la péninsule de Crimée par la Russie puis du conflit avec des séparatistes prorusses dans l'est de l'Ukraine, qui a fait plus de 9000 morts.

-Avec Maxime Popov