«Il ne peut y avoir d'amnistie pour un être humain achetant un autre être humain, même pour quelques heures. Il ne peut y avoir d'amnistie pour les clients de la prostitution, même si la personne prostituée l'est par choix». Comme de nombreuses sections nationales d'Amnesty International, nous nous opposons donc au projet de politique libérale proxénète défendu par leur siège.»

Ainsi commence une lettre publiée ce week-end dans le quotidien Libération par une pléthore d'organismes français opposés à la légalisation de la prostitution et adressée à tous les délégués de l'organisme de défense des droits de la personne réunis en congrès biennal jusqu'à demain à Dublin, en Irlande.

«La prostitution n'est pas le plus vieux métier du monde, mais la plus ancienne forme d'oppression!», dit la lettre, publiée à l'initiative notamment des FEMEN et endossée entre autres par Zero Macho, collectif lancé en France qui réunit des hommes opposés à la prostitution.

Quelque 500 délégués venus de partout dans le monde doivent voter sur une politique élaborée par un comité international qui travaille depuis deux ans sur la question et qui dit l'avoir étudiée suffisamment pour affirmer solidement que la dépénalisation est la meilleure voie. «Les données disponibles montrent que la criminalisation du travail du sexe a plus de risque de renforcer la discrimination contre ceux qui vendent du sexe, ce qui augmente leur risque de harcèlement et de la violence, incluant de mauvais traitement de la part de la police», peut-on lire dans le document.

Beaucoup de désaccord

La prise de position française contre la décriminalisation n'est toutefois pas unique. Le débat autour de la proposition controversée d'Amnistie fait rage depuis le début des consultations sur la question au sein de l'organisme. Et plusieurs sections nationales sont en désaccord avec la politique proposée par un comité international d'Amnistie, qui dit que «le travail du sexe est une activité hautement stigmatisée, et les travailleurs du sexe font face de façon routinière aux préjugés et à la discrimination de la part des États et autres acteurs non étatiques...» Et que, en conséquence, il faut que la prostitution soit dépénalisée, tout comme le proxénétisme.

Le mois dernier, une série de personnalités publiques qui appuient habituellement le travail d'Amnistie internationale auprès, notamment, des prisonniers d'opinion ont décidé de prendre la parole pour affirmer leur désaccord à l'endroit de cette proposition de politique.

Les actrices Lena Dunham, Kate Winslet et Meryl Streep, en collaboration avec la féministe américaine Gloria Steineim et plusieurs groupes contre l'exploitation sexuelle, ont signé une lettre dans laquelle elles disent que même si elles comprennent la nécessité de protéger les droits des femmes oeuvrant dans ce secteur, la politique proposée par Amnistie «est une décriminalisation générale de l'industrie du sexe, ce qui veut dire la légalisation du proxénétisme, de la possession de bordels et de l'achat de sexe».

Or, comme l'explique cette lettre et celle publiée ce week-end par les opposants français à la proposition, l'expérience montre que la dépénalisation augmente le commerce et l'exploitation sexuelle en plus de rendre les prostituées encore plus vulnérables. C'est le cas de l'expérience allemande, où les lois ont été allégées en 2002, et de l'expérience néerlandaise, où on a fait de même en 2000.

«La réputation qu'a Amnistie de défendre les droits de tous les individus serait sévèrement ternie, de façon irréparable, si [l'organisme] adopte une politique qui prend le parti des acheteurs de sexe, des proxénètes et d'autres exploiteurs plutôt que celui des exploitées», conclut en outre la lettre publiée aux États-Unis.

Document mal reçu

Le document a été plutôt mal reçu parmi bon nombre de prostituées américaines, qui ont réagi dans les médias comme The Daily Beast en affirmant que les vedettes n'avaient aucune idée de la réalité de la prostitution et ne pouvaient donc pas en parler. «Si quelqu'un a besoin de manger ou de nourrir sa famille, on ne peut pas les arrêter», a commenté Kristen DiAngelo, directrice du Sex Workers Outreach Project (SWOP) à Sacramento, en Californie.

Mais pour les signataires de la lettre parue dans Libération, clients et exploiteurs du sexe ne peuvent être tolérés. «Le système prostitutionnel représente un aspect de la domination masculine dans sa forme pure, lit-on. Le client achète une marchandise, la prostituée, qui devient son instrument de plaisir. Dans ce rapport de domination, l'homme détient tous les pouvoirs: le sexe et l'argent.»

Les sections de France et de Suède d'Amnistie sont contre la dépénalisation.