L'organisation Save the Children a rapporté hier un autre naufrage de migrants dans la Méditerranée, ce qui porte à près de 1500 le nombre de morts depuis le début de la belle saison. Ceux qui survivent au dur périple migratoire n'ont pas la vie facile. À Paris, ils sont des centaines à se retrouver dans la rue. Reportage auprès de migrants qui ont gagné l'Europe sans quitter le tiers-monde.

Le boulevard de la Chapelle, dans le 18e arrondissement de Paris, attire la misère. Aux sans-abri, vendeurs à la sauvette, revendeurs et autres drogués du quartier se sont joints de nouveaux venus au cours des derniers mois: quelques centaines de migrants qui vivent sous des tentes, installés sous les rails du métro aérien.

«Il n'y a rien ici. Pas même à manger.»

Assise sur un matelas posé à même le goudron, au milieu de couvertures et de vêtements crasseux, une femme sans âge surveille distraitement ses enfants, deux petits garçons qui tuent le temps en tournant autour d'elle.

Tous les trois sont arrivés ici il y a quelques jours. Ils ont quitté le Soudan il y a déjà longtemps, ont traversé la Libye et la Méditerranée sur un bateau de fortune. «C'était dur», dit sans s'épancher cette femme, qui n'a qu'une idée en tête: l'Angleterre.

Pendant l'hiver, les tentes et les migrants ont fait leur apparition progressivement sur ce trottoir, en pleine rue. Les moins chanceux dorment sur des morceaux de carton posés sur le bitume.

«Avant, ici, il n'y avait que des renois [Noirs]. Maintenant, y a les Marocains, les Égyptiens. Y a pas le choix», observe Nourdine, un Marocain de 26 ans qui vit dans la rue depuis son arrivée en France, il y a six mois.

Autour des tentes, beaucoup d'hommes. Mais aussi des femmes, avec de jeunes enfants, et même des femmes enceintes. «Ce sont les oubliés de la France», indique Nourdine.





De passage

Ces migrants, pourtant, souhaitent rarement s'établir en France.

«Je veux aller en Angleterre. Il n'y a rien pour moi ici», juge Mahmoud, un jeune Érythréen endetté: il a donné plus de 3000$ à des passeurs pour arriver jusqu'en Europe et cherche à travailler le plus rapidement possible pour envoyer de l'argent à sa famille.

Comme Mahmoud, Ayman, Ali et Mohammed sont de jeunes Érythréens dans la vingtaine. Ils ont fui leur pays en passant par la Libye avant d'embarquer dans un navire de fortune, envoyé vers les côtes italiennes. Ils ont connu l'enfer et le racontent dans un anglais courant.

«Là-bas, en Libye, les gens se font tuer en pleine rue», dit Ayman, 24 ans, qui a traversé la Méditerranée la même semaine que les centaines de migrants noyés en mer. «Mon voyage a duré cinq jours. On était 400, et 3 personnes sont mortes.»

Mahmoud a déjà essayé de «passer» vers l'Angleterre. Sans succès. Il est revenu à Paris, mais repartira une nuit plus tard tenter sa chance, depuis Calais, près de la Manche. «Je vais essayer, encore et encore», promet-il.

Toutes les deux minutes, le bruit assourdissant des métros couvre le son des voix. «On entend ça toute la journée», dit en soupirant Mohammed, un Érythréen qui espère aller en Norvège en train. Sa soeur y vit, avec ses enfants, légalement. Il aurait pu essayer de la rejoindre de façon légale. Mais il a préféré un voyage dangereux, dans la misère, plutôt que de rester encore plusieurs mois en Libye.

Mains tendues

La pluie tombe finement en ce dimanche de printemps froid. Chaque soir, pendant le week-end, quelques bénévoles de l'association musulmane Au coeur de la précarité viennent porter des repas aux campeurs, rejoints par les nombreux sans-abri du quartier.

«Depuis deux ou trois semaines, il y a une grande vague de migrants. D'habitude, on sert 400 personnes, maintenant, c'est 600», constate Ahmed, un bénévole qui souhaite garder l'anonymat.

Le jeune homme, qui porte la barbe et un qamis par-dessus son jean, doit aussi assurer le bon déroulement de la distribution des repas. Les tensions sont nombreuses: pour les migrants, ce repas est souvent le seul de la journée. «Si on veut faire du social, y a pas le temps», dit Ahmed.

Quelques associations locales se relaient, au cours de la semaine, pour distribuer un repas. Des voisins viennent aussi donner des vêtements aux enfants, et parfois quelques plats de nourriture.

Les migrants n'ont pas été complètement abandonnés par les autorités françaises. Devant l'afflux, la Ville de Paris a en effet planté des urinoirs, maintenant entourés de tentes et de matelas.

Du camp, on peut voir les trains quitter Paris pour Londres et le nord de l'Europe.

À quelques mètres de là, le Sacré-Coeur apparaît, au bout de la rue de la Goutte d'Or.

Devinant les tentes, un VUS ralentit. Un passager sort un iPhone et filme, sans s'arrêter, la misère en plein Paris.

UN SYSTÈME À BOUT DE SOUFFLE

La France peine à faire face à l'afflux de migrants et de demandeurs d'asile qui arrivent sur son territoire. Ainsi, les Soudanais ou Érythréens sont rares à demander l'asile en France, bien que leurs dossiers soient acceptés dans 50% et 93% des cas, respectivement.

«L'une des raisons, c'est que l'hébergement n'est pas assuré. Ces personnes doivent rembourser des dettes contractées auprès de passeurs, et elles doivent travailler rapidement», a expliqué à La Presse Philippe Leclerc, représentant en France du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies, lors d'une entrevue au début du mois.

Le système d'asile est saturé en France. Ainsi, les capacités d'hébergement, qui sont de 25 000 places, ne peuvent répondre aux nombreuses demandes (60 000). Les migrants qui arrivent en ce moment en France n'ont ainsi plus aucune attente envers le pays. La Cour des comptes (organe régissant les finances publiques) dénonce, dans un rapport rendu public ce mois-ci, un système «au bord de l'embolie». Les demandes d'asile sont traitées en deux ans, et seulement 1% des demandeurs déboutés quittent la France à l'issue de la procédure.

À Paris, pour faire face aux 600 migrants qui vivent dans les rues, comme dans le camp du boulevard de la Chapelle, la Ville a débloqué 50 000 euros pour financer une mission d'urgence, rapporte le quotidien Le Monde.