Manuel Valls a été nommé personnalité de l'année 2014 par des observateurs de la scène politique française. Beaucoup le voient candidat à l'élection présidentielle de 2022. D'autres le comparent à Nicolas Sarkozy, tant sur le fond que sur la forme. Nommé premier ministre le printemps dernier par François Hollande pour remettre sur les rails un gouvernement en chute libre, il ne laisse aujourd'hui personne indifférent. Portrait en trois qualificatifs d'un politicien dont on n'a pas fini d'entendre parler.

Ambitieux

Jeudi, 12 février, au Colloque sur les énergies renouvelables, à Paris. Une jeune femme de l'organisation s'inquiète. «Il faut faire rentrer les gens dans la salle, le premier ministre est en avance.» Il est à peine 8h et la conférence doit commencer à 8h30.

En le présentant, le président de l'événement, Jean-Louis Bal, fait référence au fait que la dernière fois qu'un premier ministre est venu ouvrir le colloque, il s'agissait de Lionel Jospin, en 2000. Manuel Valls était alors son conseiller politique. Ce dernier saute sur l'occasion dès son entrée en scène. «Je constate que j'avance au rythme des énergies renouvelables», dit le premier ministre. Il va conclure son discours 20 minutes plus tard en lançant: «Je ne sais pas où je serai, mais je vous donne rendez-vous dans 15 ans.»

«Il a l'ambition de devenir un jour président de la République, il l'a dit, il l'a répété, il l'a redit, il l'a rerépété, explique Thomas Guénolé, politologue et professeur à l'Institut d'études politiques de Paris. Il est ambitieux, mais en même temps, à ce niveau dans la politique nationale, c'est assez rare de ne pas avoir d'ambition. Disons simplement qu'il assume publiquement son ambition beaucoup plus que la moyenne.»

Depuis son engagement dans les mouvements étudiants, Manuel Valls a connu un parcours classique - mais accéléré - dans les sphères politiques. «Il a été un très jeune apparatchik du Parti socialiste», souligne M. Guénolé. Conseiller politique du premier ministre Lionel Jospin, puis député et maire d'une petite ville, il s'est rapidement fait connaître par sa remise en question de différentes politiques de son parti. En 2011, il se lance dans la primaire pour être candidat à l'élection présidentielle, mais termine loin derrière François Hollande et se rallie loyalement à son chef.

«C'est une constante. Il n'est pas du tout fiable pour le numéro 2, le numéro 3, 4 ou 5. En revanche, il est toujours loyal envers le numéro 1. Il a toujours été d'une loyauté sans faille envers Lionel Jospin, à Matignon, ainsi qu'envers François Hollande, président de la République», soutient Thomas Guénolé.

Ambitieux, mais loyal, ce n'est pas, pour le politologue, une contradiction. «Il saura attendre son tour», conclut-il.

Controversé

«Libéral», «de droite», «iconoclaste», Manuel Valls bouscule l'ordre établi, y compris dans sa formation politique, le Parti socialiste (PS). Voici trois controverses qu'il a provoquées au sein de son clan.

Sur le mot socialiste

«Le mot "socialiste" ne veut plus rien dire.» Pour le parti de François Mitterrand et de Lionel Jospin, c'est un comble. Manuel Valls, alors député et maire d'Évry, ébranle les colonnes du temple socialiste, en 2009, quand il propose non seulement de changer le nom du parti, mais de le réformer de fond en comble. L'onde de choc est telle, au parti, que sa plus haute dirigeante, Martine Aubry, rappelle à l'ordre Manuel Valls. Elle le somme de «quitter le parti» s'il n'est plus d'accord avec ses idées. Selon le politologue Thomas Guénolé, Valls, à cette époque, «multiplie les transgressions par rapport au discours traditionnel du PS», surtout «pour attirer l'attention des médias».

Au sujet des 35 heures

Libéral sur le plan économique et prosécurité sur le plan des valeurs, il représente l'aile droite du parti de centre gauche actuellement au pouvoir en France. Et il va jusqu'à remettre en question certains principes fondamentaux du Parti socialiste, comme la semaine de travail de 35 heures, qu'il suggère d'étendre à 38 heures, pour accroître le pouvoir d'achat de la classe moyenne. Mais cette prise de position date de 2011, bien avant qu'il n'accède au poste de premier ministre. Le gouvernement s'est empressé de corriger le tir après sa nomination, confirmant qu'on ne «toucherait pas aux 35 heures».

Sur les banlieues et l'«apartheid»

Si, depuis qu'il a accédé au gouvernement, d'abord comme ministre de l'Intérieur, de 2012 à 2014, puis comme premier ministre, Manuel Valls s'est rallié au programme de son parti, il n'a pas cessé de soulever la controverse. Notamment dans le choix de mots utilisés pour décrire certaines situations. En parlant «d'un apartheid territorial, social et ethnique» pour décrire la délicate situation des banlieues en France, 10 jours après les attentats de Charlie Hebdo, il s'est attiré les foudres du Tout-Paris politique, même du Parti socialiste.

Omniprésent

10 janvier 2015. Paris se relève péniblement de trois jours de chaos qui ont fait 17 morts. Le plan Vigipirate, contre la menace terroriste, est à son plus haut niveau. Les autorités sont sur le qui-vive. Manuel Valls, fait une visite-surprise lors de la cérémonie devant l'épicerie Hyper Cacher où, la veille, une prise d'otages a fait quatre victimes innocentes. Mais là-bas, c'est un véritable bain de foule qui l'attend. Des quidams l'interpellent et, dans Paris en crise, Manuel Valls se prête aux questions de la foule. «Il ne faut pas avoir peur», répond-il à un homme inquiet. La scène est étonnante, tant elle tranche avec l'image habituelle des politiciens aux déplacements ultra-sécurisés et encadrés. Elle est emblématique du personnage.

«Manuel Valls est un peu partout. Mais on sent qu'il ne fait pas que des discours. Il a une vision», soutient Olivier Aymard, croisé à la sortie d'une allocution du premier ministre.

«C'est un communicant très clair, très ferme, très carré», estime de même le politologue Thomas Guénolé.

Manuel Valls a clairement gagné la bataille de la visibilité médiatique, au cours de la dernière année. Et celle de l'opinion publique. Au fil des sondages, le premier ministre affiche un taux d'approbation supérieur de 20%, en moyenne, à celui de son président, François Hollande.

«Il utilise cette façon de parler qui est destinée à attirer au maximum les médias, explique M. Guénolé. Et à force d'être exposé et surexposé, vous écrasez la concurrence, parce qu'on n'entend et on ne voit que vous.»

C'est ainsi que plusieurs, dans le paysage médiatique et politique français, en sont venus à le comparer à Nicolas Sarkozy, qui s'est fait connaître par ses coups de gueule, bien avant son élection à la présidence, en 2007.

Selon le professeur de science politique, les deux hommes sont d'habiles «communicants» qui adoptent des positions créant des clivages et des transgressions. «Ils ont aussi pour point en commun, sur le fond, d'avoir un discours très idéologique, ajoute M. Guénolé. Nicolas Sarkozy a rénové en profondeur le discours idéologique de la droite. Et Manuel Valls est en train de rénover en profondeur le discours idéologique de la gauche. Ce sont des rénovateurs de discours.»

Valls en 4 temps

1982

Né en Espagne en 1962, il est naturalisé français à 20 ans. S'il est un jour élu à la présidence, il serait le premier étranger de naissance à accéder à la plus haute fonction de la République française.

2001

Après avoir fait ses classes comme apparatchik au Parti socialiste, il est élu maire d'Évry. Son ascension politique débute.

2011

Ne cachant pas son ambition, il se présente à la primaire socialiste, en 2011, pour être candidat à l'élection présidentielle de 2012. Il arrive loin derrière François Hollande, mais se rallie et aura droit à un poste de ministre, une fois Hollande élu. Il est nommé à l'Intérieur, et donc chargé de la sécurité publique.

2014

Il remplace Jean-Marc Ayrault au poste de premier ministre de France, après une cuisante défaite de la gauche aux élections municipales, qui incite François Hollande à rebattre les cartes de son gouvernement.

Valls en 3 déclarations

«Mon but essentiel est de promouvoir une modernisation radicale de l'idéologie du Parti socialiste, pour lequel nous pourrions trouver

un meilleur nom.»

- 20 juillet 2009

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«J'ai toujours pensé que j'avais la capacité d'assumer les plus hautes responsabilités de mon pays.» 

- 1er juin 2013

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«Ces derniers jours ont souligné beaucoup des maux qui rongent notre pays ou des défis que nous avons à relever. À cela, il faut ajouter toutes les fractures, les tensions qui couvent depuis trop longtemps et dont on parle peu [...] la relégation périurbaine, les ghettos, [...]]un apartheid territorial, social, ethnique, qui s'est imposé à notre pays.» 

- 20 janvier 2015