Hier, sous les acclamations de centaines de milliers de Kurdes de Turquie qui se sont rassemblés au coeur de Diyarbakir, deux politiciens ont lu - en kurde et en turc - un énoncé écrit par le chef des rebelles kurdes dans la cellule où il purge une peine à perpétuité. Dans son message, Abdullah Öcalan a déclaré un cessez-le-feu et demandé aux hommes et aux femmes qui se battent pour son organisation, le Parti des travailleurs du Kurdistan (ou PKK), de se retirer dans les montagnes de l'Irak. «Nous sommes arrivés à un point où nous devons faire taire les fusils et laisser parler la politique», a écrit M. Öcalan. Peut-on pour autant espérer la fin d'un conflit de trois décennies? Les enjeux en cinq questions et réponses.

Q Qui est Abdullah Öcalan?

R Membre fondateur du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en 1978, Abdullah Öcalan, surnommé Apo, a longtemps été à la tête de la rébellion armée du PKK qui a débuté en 1984. Ennemi numéro 1 de la Turquie, surnommé le monstre, il a été capturé au Kenya en 1999. Sa condamnation à mort pour trahison a été commuée en peine d'emprisonnement à perpétuité. Malgré son incarcération dans l'île d'Imrali depuis 14 ans, il reste une figure de proue pour les Kurdes de Turquie, note l'historien Stefan Winter, de l'Université du Québec à Montréal. «Il est encore aujourd'hui l'incarnation du nationalisme kurde, un peu comme Yasser Arafat l'était pour les Palestiniens», explique M. Winter, en ajoutant qu'Apo ne fait pas l'unanimité pour autant.

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Q Dans le passé, le PKK a annoncé plusieurs cessez-le-feu, mais le conflit a repris de plus belle. Pourquoi cette fois serait-elle différente?

R L'annonce d'Abdullah Öcalan survient après de longs mois de négociations clandestines avec les services secrets turcs. Dans le passé, Öcalan avait annoncé des cessez-le-feu de manière unilatérale. Avant l'avènement au pouvoir du Parti de la justice et du développement (AKP), aucun gouvernement turc n'avait accepté de négocier directement avec le chef du PKK. «Mais avant de dire que le cessez-le-feu est important, il faudra voir comment les deux parties au conflit vont se comporter. Le gouvernement de l'AKP a souvent envoyé des messages contradictoires aux Kurdes», estime Emre Ünlücayakli, chercheur au Consortium interuniversitaire pour les études arabes et moyen-orientales.

Q Comment le gouvernement turc a-t-il réagi à l'annonce?

R De manière très positive. Hier, le premier ministre turc a salué «l'ouverture pour la paix» d'Abdullah Öcalan et a affirmé que l'armée turque cessera ses opérations contre les rebelles si ces derniers respectent le cessez-le-feu. Recep Tayyip Erdogan a aussi profité de sa tribune pour envoyer une flèche à la puissante armée turque avec laquelle il est à couteaux tirés, en affirmant que la paix pourrait couper l'herbe sous le pied à tous ceux qui se «nourrissent de la terreur».

Q Peut-on prévoir la fin durable des hostilités?

R Selon Emre Ünlücayali, cela dépendra des actions du gouvernement turc pour répondre aux doléances de la minorité kurde du pays. «S'il n'accorde pas plus de droits culturels ou d'autonomie aux Kurdes, le cessez-le-feu ne tiendra pas», avance le chercheur. Certains médias turcs croient qu'Erdogan pourrait aller jusqu'à libérer Abdullah Öcalan, mais plusieurs experts estiment qu'une telle amnistie ferait trop de vagues au sein de l'électorat turc, qui a bien peu de sympathie pour le leader du PKK et lui attribue la responsabilité des quelque 45 000 morts que le conflit de 30 ans a faits dans le pays.

Q Quelles conséquences une paix avec les Kurdes pourrait-elle avoir pour le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan?

R D'un point de vue électoral, Erdogan a des gains à faire dans la grande communauté kurde qui représente 20% de la population, notamment dans le cadre d'un vote sur une nouvelle Constitution. N'ayant pas la majorité nécessaire pour modifier lui-même la Constitution turque, Erdogan profitera peut-être de sa popularité auprès des Kurdes pour faire adopter son projet. Cependant, en gagnant des votes kurdes, Erdogan perdra sans doute le soutien de beaucoup de nationalistes turcs qui s'opposent à tout statut particulier pour les Kurdes.