Surnommée la pasionaria kurde, la politicienne Leyla Zana a été condamnée le 29 mai dernier à 10 ans de prison par un tribunal turc pour appartenance au mouvement rebelle et diffusion de propagande. Portrait de l'une des plus célèbres avocates des revendications kurdes.

Nous sommes en 1991, au parlement turc. Leyla Zana est la première femme kurde jamais élue. Vêtue d'un foulard aux couleurs kurdes, elle prête serment en turc, puis en kurde: «J'accepte cette cérémonie constitutionnelle au nom de la fraternité des peuples turc et kurde.» Son premier mandat démarre sous les huées, et s'achève, trois ans plus tard, après la perte de son immunité parlementaire, par la prison. Elle n'en sort qu'en 2004.

Née en 1961 dans un hameau près de Diyarbakir, région kurde dans le sud-est de la Turquie, Leyla Zana a d'abord été une jeune fille mariée de force, peu éduquée, avant de devenir l'une des plus célèbres avocates de l'indépendance des Kurdes. Elle n'est allée à l'école qu'un an et demi, avant que son père ne la marie de force, en 1975, à un cousin, Mehdi Zana.

Militant kurde, Mehdi Zana a été maire de Diyarbakir, avant d'être emprisonné, peu après le coup d'État militaire de 1980. L'emprisonnement de son mari pousse Leyla Zana à s'engager en politique. Mère de deux jeunes enfants, elle prend la cause de son mari à bras le corps et le suit, pendant plusieurs années, de prison en prison. Elle suit aussi des cours et obtient un diplôme préuniversitaire grâce à des cours à distance. Elle devient journaliste, et écrit pour l'un des journaux prokurdes de sa région.

Pendant les années de captivité de son mari, elle apprend le turc, puis participe à des activités politiques. Son premier séjour en prison date de 1988, où elle a été détenue pendant sept jours, et torturée.

Mais cela ne l'empêche pas de devenir, en 1991, candidate sur une liste sociale-démocrate (le SHP). Elle remporte son premier siège de députée. Sa prestation de serment cause un scandale. Mais pendant trois années, elle se fait l'avocate des Kurdes. Le Parti du travail du Kurdistan (PKK) mène alors une lutte armée. Plusieurs dizaines de milliers de personnes sont déjà mortes. Ankara se fait de plus en plus menaçant à son égard.

Contrainte de quitter le SHP, elle se joint à un parti prokurde, le Parti démocratique. Ankara l'accuse d'entretenir des liens avec le PKK et son leader. Privée de son immunité parlementaire, Leyla Zana est arrêtée en mars 1994 et condamnée, quelques mois plus tard, à 15 ans de prison.

Loin de tomber dans l'oubli, elle devient l'objet de pressions des organisations non gouvernementales et de l'Union européenne. Elle sera en nomination deux fois pour le prix Nobel de la paix. En 1996, le Parlement lui décerne le prix Sakharov. Mais ce n'est qu'au début des années 2000, dans le cadre des discussions autour des réformes démocratiques pour entamer les négociations de l'adhésion à l'Union qu'Ankara consent à faire une révision du procès de Leyla Zana. Elle est finalement libérée en 2004.

Partisane de l'adhésion à l'Union européenne, elle se montre aussi très critique envers les changements qui sont faits par le pouvoir turc: ces améliorations sont «cosmétiques», dit-elle alors aux élus européens.

Elle ne se présente pas aux élections de 2007, mais à celles de 2011, qu'elle remporte. Elle bénéficie depuis de l'immunité parlementaire. Mais le 29 mai dernier, un tribunal turc a confirmé la condamnation à 10 ans de prison dont elle a été l'objet en 2008, pour appartenance au mouvement rebelle kurde et diffusion de propagande. Ses avocats ont d'ores et déjà annoncé un appel de cette décision.