Le parlement français a adopté lundi soir la proposition de loi pénalisant la négation du génocide arménien de 1915 après un ultime vote du Sénat, au risque d'approfondir la crise entre Paris et la Turquie, partenaire économique et stratégique majeur.

Le Sénat a ratifié par 127 voix contre 86 ce texte déjà adopté par l'Assemblée nationale le 22 décembre.

Le texte est donc définitivement adopté par le parlement. 237 sénateurs seulement sur 347 ont pris part au vote.

Le rejet en début de soirée d'une motion d'irrecevabilité laissait augurer d'un vote final en faveur de la proposition de loi, un texte soutenu par le président Nicolas Sarkozy.

Lundi soir, les médias turcs affirmaient que le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan suivait de près avec ses collaborateurs les débats du Sénat français, mettant la dernière main à la risposte prévue par son gouvernement en cas d'adoption.

Aussitôt après le vote du Sénat, le ministre turc de la Justice Sadullah Ergin a fustigé le vote des parlementaires français, estimant qu'il reflétait «un manque total de respect» et une «grande injustice» envers la Turquie.

Le ministre a ajouté sur la chaîne d'information CNN Türk que, pour la Turquie, cette loi était «nulle et non avenue».

Ankara a par ailleurs réitéré sa menace de représailles «permanentes» contre la France si la loi pénalisant la négation du génocide arménien par le Sénat était promulguée dans les prochains jours par le gouvernement.

«Si la loi est promulguée par le gouvernement, les conséquences seront permanentes. La France est en train de perdre un partenaire stratégique», a déclaré à l'AFP le porte-parole de l'ambassade de Turquie à Paris, Engin Solakoglu.

Dans la journée, le vice-premier ministre turc Bülent Arinc a prévenu que la Turquie pourrait se tourner vers la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) pour faire condamner la France si la loi était votée.

De son côté, la télévision turque TRT a menacé de mettre un terme à sa participation à Euronews, première chaîne de télévision internationale d'information en Europe, basée en France, dont elle est actionnaire à 15,5%.

Le projet de loi prévoit de punir d'un an de prison et de 45 000 euros d'amende la négation de génocides reconnus comme tels par la loi française, dont le génocide arménien.

Paris a admis en 2001 l'existence d'un génocide d'Arméniens en Anatolie entre 1915 et 1917 (1,5 million de morts selon les Arméniens). Jusqu'à présent la France reconnaît deux génocides, celui des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale et celui des Arméniens, mais ne punit que la négation du premier.

Jusqu'au bout, la Turquie, qui refuse le terme de génocide même si elle reconnaît que des massacres ont entraîné la mort de quelque 500 000 Arméniens, aura tenté de faire pression pour que le Parlement français recule.

«Nous avons déterminé au préalable les mesures que nous prévoyons de prendre si ce texte est finalement adopté. Personne ne doit en douter», a martelé lundi le ministre turc des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu, qui a annulé un déplacement à Bruxelles où il devait assister lundi à une réunion des ministres européens des Affaires étrangères.

L'adoption du texte par les députés le 22 décembre avait entraîné le rappel, pour quelques semaines, de l'ambassadeur de Turquie en France.

Surtout, la Turquie, pays membre de l'Otan, avait gelé sa coopération militaire et politique avec Paris qui voit dans Ankara un partenaire essentiel pour dénouer la crise en Syrie, où la France tente d'être en pointe.

Cette fois, la Turquie pourrait rappeler sine die son représentant à Paris et prendre des mesures de représailles dans le domaine commercial et économique, selon des sources à Ankara.

Les Français craignent de se voir écarter de gros marchés lors d'appels d'offres. Cela pourrait mettre la France sur la touche pour la construction de centrales nucléaires ou faire capoter les négociations pour associer Gaz de France au projet de gazoduc européen Nabucco.

Le volume bilatéral des échanges a atteint près de 12 milliards d'euros en 2010 et plusieurs centaines d'entreprises françaises travaillent en Turquie.

Paris a appelé lundi à «l'apaisement». «La Turquie est un partenaire et un allié très important de la France», a assuré le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Bernard Valero.

Les autorités turques accusent le chef de l'Etat français de chercher à s'assurer les voix de la communauté arménienne en France (environ 600 000 personnes), à moins de trois mois de l'élection présidentielle, pour laquelle il est donné battu par les sondages.

Les relations entre les deux pays se sont refroidies depuis l'arrivée au pouvoir en 2007 de Nicolas Sarkozy, farouchement hostile à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. M. Sarkzoy tente cependant depuis le début de cette crise de calmer le jeu alors que le texte a suscité des réticences y compris au sein du gouvernement.

Le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé, notamment, l'a jugé «inopportun». Et la commission des loi du Sénat l'a jugé «contraire à la Constitution».