La justice française a annoncé hier qu'elle ouvre une nouvelle enquête dans le scandale entourant la gestion de la fortune de l'héritière de l'empire L'Oréal, Liliane Bettencourt. Cette fois, le financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy est au coeur de l'affaire. L'un de ses ministres, Éric Woerth, pourtant reconnu pour sa droiture, est dans l'oeil du cyclone. Portrait d'un politicien dans la tourmente.

Beaucoup espéraient qu'il réussirait là où plusieurs autres avaient échoué. Le ministre du Travail, Éric Woerth, devait présenter la semaine prochaine son projet de réforme des retraites, un dossier épineux dans l'Hexagone. Son principal atout: sa réputation d'homme droit aux mains propres. Une réputation mise à mal ces jours-ci.

 

Lundi, Claire Thibout, ex-comptable de Liliane Bettencourt, la femme la plus riche de France, a rencontré la police. Elle a déclaré que, en mars 2007, le gestionnaire des biens de Mme Bettencourt, Philippe de Maistre, lui avait demandé de retirer 150 000 (environ 200 000$) qu'il voulait remettre en mains propres à Éric Woerth pour financer la campagne de Nicolas Sarkozy.

Le hic, c'est que le don maximal qu'une personne peut faire à un politicien est de 4600 (6085$). Dans l'enquête qu'elle a ouverte hier, la justice française devra établir si M. Woerth a illégalement participé au financement de la campagne du président Sarkozy ou si, comme il l'affirme, il a été victime d'une «dénonciation calomnieuse».

Les dernières allégations de l'ex-comptable s'ajoutent à la série de tuiles qui sont tombées depuis le début du mois de juin sur la tête du politicien qui, jusque-là, était une étoile montante de la politique française.

Un homme du clan rival

Diplômé de Sciences-po et des Hautes Études commerciales, comme beaucoup d'élus français, Éric Woerth n'est pas un politicien de carrière. Il a d'abord travaillé dans le milieu des affaires, comme vérificateur comptable d'entreprises.

Proche d'Alain Juppé, Éric Woerth commence dans les années 90 à s'intéresser à la politique municipale et régionale de l'Oise, sa région natale. Il est d'ailleurs maire de la ville de Chantilly. Cependant, ce n'est qu'en 2002 qu'il quitte sa carrière dans le secteur privé pour se consacrer à la politique.

Cette année-là, il est responsable du financement de la campagne électorale de Jacques Chirac, lequel, une fois au pouvoir, le nomme secrétaire à la réforme de l'État. Cinq ans plus tard, malgré son association au clan Chirac, il devient le grand financier de la campagne de Nicolas Sarkozy.

Il a alors un tel succès dans ce rôle que la Loi sur le financement des partis doit être modifiée pour élever le plafond légal de financement, explique Martial Foucault, politologue à l'Université de Montréal. Après la victoire de Sarkozy, Éric Woerth est nommé ministre du Budget. «C'était surprenant de le voir nommé là. Il était proche du clan Chirac, mais Sarkozy devait choisir quelques personnes du clan rival. Parce qu'il avait fait de l'excellent travail avec le financement, Éric Woerth a été récompensé», explique le politologue.

Homme au crâne dégarni, toujours vêtu de costumes sévères, Éric Woerth, même s'il est l'un des membres les plus jeunes du gouvernement français, n'est pas le plus coloré. L'un de ses principaux faits d'armes a été de combattre l'évasion fiscale en se lançant notamment aux trousses des Français titulaires de comptes en Suisse. Ce combat lui a notamment valu la réputation de «cavalier blanc» au sein du régime Sarkozy et le poste de ministre du Travail.

Enregistrements secrets

Les problèmes ont commencé trois mois après cette nomination. Des conversations entre Patrice de Maistre et Liliane Bettencourt, enregistrées à leur insu par le maître d'hôtel de ont été publiés sur le site web Mediapart. Ces enregistrements, qui auraient été réalisés par le maître d'hôtel de Mme Bettencourt entre mai 2009 et juin 2010, évoquent notamment l'existence d'un compte en Suisse et des tractations pour échapper au fisc.

Or, durant cette période, la femme d'Éric Woerth, Florence, gérait en partie les avoirs de Mme Bettencourt. Comme son mari, au milieu de sa croisade contre l'évasion fiscale, n'a pas cru bon de scruter de plus près les avoirs de l'octogénaire milliardaire, des allégations de conflits d'intérêts ont commencé à fuser à gauche et à droite. Florence Woerth a quitté son emploi, mais, depuis, il ne passe pas un jour sans que les médias français déterrent une nouvelle histoire impliquant son mari.

Défendu par Nicolas Sarkozy, le ministre du Travail répète depuis le début de la semaine qu'il n'a rien à se reprocher et ne démissionnera pas. Il accuse le Parti socialiste d'avoir manigancé une vaste campagne de diffamation contre lui. «Je n'ai jamais touché à un seul euro illégal», tonne-t-il.

L'opposition socialiste, pour sa part, réclame la tête d'Éric Woerth, tout en estimant que la crise dépasse de loin sa seule personne.

Dans le témoignage qui inculpait M. Woerth, Mme Thibout a aussi accusé Nicolas Sarkozy d'avoir lui-même accepté des «enveloppes» d'argent de la part de la maison Bettencourt. «Il faudrait des actes pour sortir de cette crise de régime, a lancé hier Jérôme Cahuzac, du Parti socialiste. Selon lui, Nicolas Sarkozy n'a que deux options: dissoudre l'Assemblée nationale ou remanier le gouvernement.