Le scandale pédophile de la Casa Pia, révélé en 2002 au Portugal, a permis de briser la «loi du silence» qui a régné sur cette institution publique «pendant des décennies», selon les témoignages des différentes parties au procès actuellement en cours à Lisbonne.

Catalina Pestana a dirigé la Casa Pia pendant près de cinq ans. Nommée directrice fin 2002, elle a quitté ses fonctions en mai 2007, mais n'a cessé depuis de dénoncer «l'impunité dont ont bénéficié les pédophiles».

«Le première situation documentée de pédophilie remonte à 1823. J'ai vu passer dans mon bureau trois générations d'anciens élèves, certains d'entre eux déjà grand-pères, qui m'ont raconté les abus dont ils avaient souffert», a-t-elle expliqué mercredi à l'AFP, dans les couloirs du tribunal de Lisbonne où sont jugés depuis novembre 2004 six hommes et une femme, accusés notamment d'abus sexuels sur mineurs et proxénétisme.

«Dans les années 80, moi et ceux de ma génération, nous nous étions déjà révoltés contre les abus, mais nous n'avons pas réussi à sortir les agresseurs de la Casa Pia», confirme Adelino Granja, ancien pensionnaire de la Casa Pia aujourd'hui avocat des victimes.

«Dans cette maison, pendant des décennies, les enfants qui dénonçaient (des abus) étaient battus, traités de menteurs et parfois expulsés», a rappelé le procureur Joao Aibéo dans son réquisitoire.

«Je tiens à dire ma reconnaissance aux victimes pour la façon dont elles ont résisté», a-t-il insisté. «On a essayé de convaincre ce tribunal que nous étions devant une bande de menteurs. Où est le moindre indice que les jeunes aient concerté leur version?», s'est-il exclamé.

Selon les témoignages des 32 jeunes gens parties civiles, les viols ont commencé lorsqu'ils étaient âgés de 9 à 12 ans, soit dans l'enceinte de la Casa Pia, soit à l'extérieur où étaient organisées des orgies.

Principal accusé du procès, Carlos Silvino dit «Bibi», lui-même élevé à la Casa Pia, a avoué avoir abusé de la plupart des victimes et fourni des enfants à ses co-accusés.

Aujourd'hui âgé de 52 ans, cet ancien chauffeur et jardinier de l'institution dit avoir été violé par un éducateur quand il avait quatre ans et emmené, à sept ans, «par un homme riche et important» qui lui a imposé des rapports sexuels.

Pour Felicia Cabrita, la journaliste de l'hebdomadaire Expresso qui avait révélé l'affaire en novembre 2002 en publiant le témoignage d'un interne de la Casa Pia, «quelle que soit la conclusion du procès, rien ne sera comme avant au Portugal». «Quand certains d'entre eux ont commencé à parler, ils ont brisé la barrière de la honte, l'arme fondamentale des pédophiles», estime-t-elle.

Pourtant, selon Catalina Pestana, «à l'intérieur, la loi du silence est toujours la plus forte. Ce sont des maisons avec des murs très hauts, et personne ne sait ce qu'il se passe à l'intérieur après six heures du soir».

«Ce procès n'est pas celui des agresseurs de la Casa Pia, c'est tout juste celui d'une garde avancée, car le restant de la colonne est dehors. Moi, je sais ce que m'ont dit les jeunes: "c'était ceux-là et beaucoup d'autres dont on ne connaît pas les noms"», affirme-t-elle.

Depuis la fin 2002, la justice portugaise a ouvert, en marge de l'affaire principale, plusieurs enquêtes sur des abus sexuels et des cas de prostitution infantile à la Casa Pia. A ce jour, 13 personnes, dont des éducateurs et employés de l'institution, ont été condamnées à des peines allant jusqu'à 9 ans de prison.

En mars 2006, sans attendre la fin du processus judiciaire, un tribunal d'arbitrage avait condamné l'Etat portugais à verser deux millions d'euros d'indemnités à 44 anciens internes de la Casa Pia, estimant qu'il avait «failli» dans sa mission de protéger les enfants.