Le dossier sur le meurtre en 2006 à Moscou de la journaliste d'opposition russe Anna Politkovskaïa va être transmis à un tribunal militaire, a déclaré vendredi son fils Ilya Politkovski, soulignant que faute de commanditaire l'affaire n'était selon lui pas élucidée.

«L'affaire va être transmise (à la justice). Ce sera devant un tribunal militaire», a expliqué M. Politkovski, partie civile au procès, lors d'une conférence de presse au siège de Reporters sans Frontières (RSF) à Paris.

«Au tribunal, on ne jugera qu'une infime partie de cette affaire: l'exécuteur et les commanditaires ne seront pas sur le banc des accusés», a-t-il regretté, ajoutant avoir la conviction que «des collaborateurs des services spéciaux ont depuis le début tenté d'interférer dans l'enquête».

«Je n'accuse pas le gouvernement et les autorités russes. Je parle d'éléments isolés au sein des services spéciaux», a-t-il souligné.

Le parquet général russe, qui a clos le 18 juin l'enquête sur le meurtre de la journaliste russe, a confirmé vendredi à l'AFP que l'affaire avait été «transférée à un tribunal», sans préciser la date du début du procès.

Anna Politkovskaïa, une des rares journalistes russes à avoir continué à couvrir le conflit lancé en 1999 en Tchétchénie et à dénoncer les atteintes aux droits de l'Homme, a été assassinée le 7 octobre 2006 à Moscou.

Deux ans après ce meurtre qui avait suscité un vif émoi tant parmi les milieux d'opposition russes qu'à l'étranger, certains défenseurs des droits de l'Homme allant jusqu'à y voir la «main» du Kremlin, aucun commanditaire n'a été clairement désigné par la justice.

Trois personnes sont inculpées de meurtre pour leur participation aux faits: un membre de la police criminelle russe, Sergueï Khadjikourbanov ainsi que deux Tchétchènes, les frères Djabraïl et Ibraguim Makhmoudov.

La justice a affirmé que l'homme qui a tiré sur la journaliste dans l'entrée de son immeuble s'était réfugié en Europe occidentale. Il s'agirait selon des médias russes d'un troisième frère des deux inculpés tchétchènes, Roustam Makhmoudov.

Un quatrième suspect, l'ancien officier du FSB (services secrets, ex-KGB), Pavel Riagouzov, soupçonné d'avoir fourni l'adresse de la journaliste, est inculpé notamment d'abus de pouvoir, selon le parquet. C'est lui qui a demandé, en tant que membre du FSB, à être jugé par un tribunal militaire.

Dmitri Mouratov, rédacteur en chef du journal d'opposition Novaïa Gazeta où travaillait Anna Politkovskaïa, a réclamé sur la radio Echo de Moscou que soient identifiés «tous les représentants des services spéciaux qui ont été à l'origine de fuites», permettant selon lui aux coupables de «se cacher».

«Nous craignons que les autorités russes fassent beaucoup de bruit après ce procès en disant que l'affaire est close», a souligné pour sa part le secrétaire général de RSF, Jean-François Julliard.

L'élection de Dmitri Medvedev à la présidence russe «n'a rien changé» à la situation des médias en Russie, selon lui. Dix-neuf journalistes ont été tués en Russie depuis 2000 et il y a une «impunité totale dans ces affaires», a-t-il affirmé. Il a également dénoncé le «manque criant de pluralisme dans l'audiovisuel» russe et l'emploi de plus en plus fréquent, selon lui, d'«accusations d'extrémisme pour faire taire les médias indépendants».