Le Montréalais Amor Ftouhi, accusé de terrorisme au Michigan, veut pouvoir filtrer les jurés potentiels de son procès sur la base de leur sexe, de leur origine ethnique et de leur religion. La requête fait sourciller les procureurs américains chargés de son dossier, qui la jugent discriminatoire.

Quel est votre sexe ? Votre affiliation religieuse ? Dans quel pays êtes-vous né ? Et vos parents ? Êtes-vous membre d'une église, d'une mosquée, d'une synagogue, d'un temple ou d'une autre institution religieuse ?

Voilà quelques-unes des questions inusitées que les avocats d'Amor Ftouhi souhaitent poser aux candidats qui se présenteront à partir d'aujourd'hui à la cour de Flint, au Michigan, afin de constituer un jury pour son procès.

Des questions controversées dans un pays où la loi prévoit que les bassins de candidats jurés doivent être « représentatifs » de la population, mais où aucun citoyen ne peut être exclu d'un jury sur la base du sexe, de l'origine ethnique ou de motifs raciaux (la Cour suprême n'a jamais eu à se prononcer sur l'exclusion basée sur la religion).

« SOLDAT D'ALLAH »

Amor Ftouhi a été arrêté le 21 juin 2017 pour avoir poignardé et blessé gravement un policier à l'aéroport Flint Bishop.

Selon l'enquête menée par la police américaine avec l'aide de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), le résidant de Villeray originaire de la Tunisie aurait fait plusieurs recherches sur l'internet à partir de Montréal au sujet des lois américaines sur les armes. Il cherchait l'État américain le plus proche du Québec où il pourrait se procurer une arme à feu.

Entré aux États-Unis par Lacolle, Ftouhi aurait tenté d'acheter une arme à feu dans une foire du Michigan, sans succès. Il aurait alors acheté un couteau à la place, selon des documents déposés à la cour en prévision du procès.

Les autorités affirment qu'il a crié « Allahu akbar » (Dieu est le plus grand) pendant l'attaque. Il aurait ensuite dit à des policiers qu'il était un soldat d'Allah et adhérait à l'idéologie d'Al-Qaïda et d'Oussama ben Laden.

Ftouhi risque maintenant la prison à vie s'il est reconnu coupable. Son procès doit s'ouvrir le 5 novembre. Il a renoncé à faire témoigner un psychologue au sujet de son état mental dans le cadre des audiences sur sa culpabilité.

IL CRAINT LES PRÉJUGÉS

L'accusé a déjà exprimé ses craintes quant au risque que les jurés entretiennent des préjugés envers lui. Il a tenté sans succès de faire déplacer son procès de Flint vers Detroit pour cette raison, en prétextant que les gens de Flint avaient trop entendu parler du policier poignardé à l'aéroport, célébré comme un héros local.

La procédure permet aux avocats des parties de poser une série de questions aux candidats jurés afin de s'assurer qu'ils pourront remplir leur rôle impartialement. Un avocat peut ainsi demander qu'on écarte un candidat qui aurait manifestement un parti pris, d'un côté ou de l'autre. Les avocats peuvent aussi écarter un petit nombre de candidats jurés à leur discrétion, sans fournir de motif, mais leur décision ne doit jamais être fondée sur des critères raciaux, par exemple.

Dans le cas de Ftouhi, les deux parties s'entendent pour qu'on demande à chaque candidat s'il entretient des préjugés négatifs envers les musulmans ou les Nord-Africains, et s'il se sent capable d'accorder à l'accusé les mêmes droits devant la cour qu'à un citoyen américain, comme le stipule la Constitution américaine.

« DISCRIMINATOIRES ET DÉPLACÉES »

Or, les autres questions très pointues que les avocats de Ftouhi veulent poser aux candidats sur leurs origines et leur religion font sourciller la poursuite.

« Rien dans le genre, l'origine ethnique ou la religion d'un juré potentiel n'est pertinent pour déterminer s'il peut suivre les instructions de la cour et décider de la cause sur la base de la preuve présentée au procès. » - Un des procureurs fédéraux dans un document qui vient d'être transmis au juge

« Il n'y a pas de corrélation entre le genre, l'origine ethnique ou la religion d'une personne et la capacité de cette personne à s'acquitter loyalement des devoirs d'un juré », poursuit le procureur, qui qualifie ces questions de « discriminatoires et déplacées ».

Les avocats de Ftouhi ont répliqué que le simple fait de demander à un candidat quelle est sa religion et d'où viennent ses parents ne signifie pas qu'ils demanderont automatiquement à l'écarter ensuite. Par ailleurs, ils ont souligné que le risque de préjugés raciaux envers un accusé doit être pris au sérieux.

L'affaire revient devant le juge à partir d'aujourd'hui.

Photo Archives Reuters

Amor Ftouhi