Le refus du nouveau président américain de se couper complètement de son empire commercial n'aura pas mis de temps à se transformer en bataille juridique aux États-Unis.

Une organisation de Washington préoccupée par les questions d'éthique a déposé hier devant un tribunal fédéral de New York une requête dans laquelle elle accuse Donald Trump de contrevenir aux dispositions de la Constitution régissant les conflits d'intérêts.

«Nous ne voulions pas être obligés de nous rendre jusque-là. Nous espérions que le président Trump ferait les gestes nécessaires pour éviter de violer la Constitution avant son entrée en fonction, mais il ne l'a pas fait», a déclaré dans un communiqué le directeur de Citizens for Responsability and Ethics in Washington (CREW), Noah Bookbinder.

La requête relève plus spécifiquement que les intérêts commerciaux du président contreviennent à un article anticorruption précisant que les représentants de l'État américain ne doivent recevoir aucun émolument provenant de régimes étrangers ou de leurs représentants.

«Il ne s'agit pas d'une relique rappelant une époque révolue, mais plutôt de l'expression d'une analyse lucide de la nature de la condition humaine», indiquent les auteurs du document en relevant que la violation de cette restriction peut conférer à des acteurs étrangers un pouvoir indu sur les orientations politiques du pays.

Selon CREW, Donald Trump possède et contrôle des centaines d'entreprises réparties partout dans le monde, incluant à travers la Trump Organization, et se retrouve conséquemment en position de bénéficier de revenus découlant de transactions réalisées avec des gouvernements étrangers ou leurs représentants.

Le nouveau président et son entourage affirment que les dispositions de la Constitution en matière de conflit d'intérêts ne s'appliquent pas à son poste ni à celui de vice-président et que les revenus provenant de ses entreprises ne correspondent pas, par leur nature, aux émoluments évoqués par la Constitution.

La gestion à ses fils

Il maintient par ailleurs avoir pris des mesures suffisantes pour se prémunir de toute influence extérieure indue en confiant la gestion de son entreprise à ses deux fils pendant la durée de son mandat.

Hier, son porte-parole à la Maison-Blanche a annoncé dans la même veine qu'il avait renoncé aux postes administratifs qu'il occupait à différents niveaux.

CREW juge cependant cette approche insuffisante, notamment parce qu'il paraît «inconcevable» que le nouveau chef d'État évite de discuter avec ses enfants de ses politiques et de leurs projets commerciaux.

L'organisation demande que le président vende ses actifs et place les avoirs résultants dans une fiducie sans droit de regard pour mettre un terme à la polémique.

En marge de cette bataille juridique, un groupe d'élus démocrates a présenté récemment au Congrès un projet de loi visant à contraindre Donald Trump à se conformer aux dispositions constitutionnelles sur les émoluments étrangers.

«Le peuple américain est en droit de savoir que le président des États-Unis cherche à faire ce qui est préférable pour le pays - et qu'il ne cherche pas à utiliser son poste pour favoriser ses intérêts personnels ou ceux de ses entreprises», a déclaré la sénatrice Elizabeth Warren à l'appui de la démarche.

L'initiative est soutenue par un groupe d'action politique prodémocrate, 4DPAC, qui a lancé une pétition visant à accroître la pression sur Donald Trump.

Son directeur, Jim Arkedis, craint que les intérêts commerciaux du président influencent lourdement son comportement et nuisent ultimement à la sécurité nationale des États-Unis en l'amenant à faire des choix contestables.

Ce serait «nier la nature humaine», dit-il, que de penser qu'il pourra ignorer ses affaires tout en gouvernant et ne pas se retrouver ultimement en position compromettante.

«La seule manière pour lui d'éviter un tel scénario est de vendre ses actifs et de les placer dans une fiducie gérée par une personne véritablement indépendante. Il n'y a pas d'autres solutions», note M. Arkedis.

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DES INTÉRÊTS COMMERCIAUX PROBLÉMATIQUES :

- L'hôtel de Washington

Le groupe de Donald Trump a récemment ouvert à Washington un hôtel luxueux situé non loin de la Maison-Blanche. Plusieurs médias américains ont rapporté que l'établissement est pris d'assaut depuis l'élection de novembre par des diplomates. Selon Citizens for Responsability and Ethics in Washington (CREW), ils cherchent ce faisant à se placer dans les bonnes grâces du président ou craignent de lui déplaire en refusant de faire affaire avec l'hôtel. L'organisation estime que les revenus provenant de cette clientèle profitent au chef d'État et contreviennent à la Constitution.

- Projets chinois

L'entreprise de Donald Trump projette de construire de 20 à 30 hôtels de luxe en Chine et devra recevoir, à ce titre, permis et approbations du gouvernement chinois. Elle est aussi propriétaire d'une tour de bureaux à New York financée avec un prêt de 950 millions de dollars détenu en partie par une banque d'État chinoise. Citizens for Responsability and Ethics in Washington estime que toute attribution de permis de la part des autorités chinoises pour la construction d'éventuels hôtels ou de réduction de dette sur l'immeuble new-yorkais serait problématique au regard de la Constitution.

- La menace terroriste

Jim Arkedis, du groupe d'action politique prodémocrate 4DPAC, pense que les hôtels détenus par Donald Trump à l'étranger sont désormais des cibles potentielles de choix pour des attentats terroristes. Or, il y a lieu de se demander, dit-il, comment le président va réagir si l'un d'eux est ciblé. «Va-t-il envoyer des troupes américaines? Si oui, est-ce que la décision sera prise en fonction de l'intérêt supérieur des États-Unis ou de ses intérêts personnels?», souligne M. Arkedis.