Donald Trump a remporté l'élection présidentielle américaine le 8 novembre dernier, mais il ne sera pas formellement élu tant que le collège électoral n'aura pas entériné sa victoire à la mi-décembre, ce qui fait rêver certains de ses opposants.

Relevant que cette institution a été mise en place notamment pour freiner l'émergence d'un dirigeant populiste, ils appellent les grands électeurs qui la composent à bloquer par leur vote l'ascension du président désigné.

Le scénario souhaité par les détracteurs du politicien controversé est possible sur le plan constitutionnel, mais il n'en demeure pas moins hautement improbable, relève David Pozen, professeur de droit rattaché à l'Université Columbia.

« Il n'y a jamais eu de cas où un groupe de grands électeurs a fait volontairement basculer le résultat de l'élection présidentielle », note-t-il.

Le président américain n'est pas désigné directement en fonction des suffrages exprimés à l'échelle nationale ; la démocrate Hillary Clinton a d'ailleurs obtenu 2 millions de voix de plus que son rival.

La victoire revient plutôt au candidat réussissant à recueillir au moins 270 grands électeurs sur les 538 qui sont répartis à l'échelle du pays.

Le candidat qui obtient davantage de suffrages dans un État donné remporte normalement du même coup l'appui des grands électeurs qui y sont associés même s'ils sont, en principe, libres de leur choix lors du vote au collège électoral.

ENTRE MÉFIANCE ET TRADITION

Les rédacteurs de la Constitution américaine se méfiaient de la « démocratie pure » et souhaitaient que l'élection du président soit ultimement chapeautée par des hommes capables de discernement pour éviter que la fonction n'échoie à un individu « ne possédant pas les qualifications requises ».

L'un des pères fondateurs des États-Unis, Alexander Hamilton, a écrit qu'il fallait éviter qu'un démagogue doué pour « les petites intrigues » ne réussisse à berner la population.

Bien que la latitude des grands électeurs demeure inscrite dans la Constitution, la tradition voulant qu'ils se prononcent conformément aux suffrages exprimés dans leur État respectif s'est rapidement imposée.

Une trentaine d'États prévoient l'imposition d'une amende financière de 500 à 1000 $ aux grands électeurs qui y dérogent. Plus de 150 d'entre eux ont fait fi des suffrages exprimés au fil des années sans modifier le résultat de l'élection.

INTERVENTION INEFFICACE ?

David Pozen estime que la rhétorique alarmiste du camp démocrate relativement à l'accession de Donald Trump à la présidence devrait logiquement amener la formation à réclamer une intervention déterminante du collège électoral.

Hillary Clinton et son entourage n'ont cependant pas évoqué cette avenue. Ce qui pourrait suggérer, selon l'analyste, que leurs craintes réelles ne sont pas aussi importantes que ne le laisse croire leur discours.

Il est possible aussi, relève-t-il, que la haute direction du parti juge cette avenue inefficace ou trop périlleuse sur le plan politique.

« On peut évidemment se demander si l'impact d'une telle intervention du collège électoral serait si important qu'il viendrait annuler tous les bénéfices qui pourraient en découler », souligne M. Pozen.

« Personne ne sait à quel point une telle décision du collège électoral serait déstabilisante. Tout comme personne ne sait à quel point une présidence Trump serait déstabilisante. » - Richard Primus, professeur de droit constitutionnel rattaché à l'Université du Michigan

L'analyste pense qu'un vote-surprise des grands électeurs, s'il se concrétise, serait peu susceptible de se reproduire puisque la polémique résultante déboucherait sur l'adoption d'un amendement constitutionnel qui viendrait « changer les règles du système », par exemple en établissant la primauté des suffrages exprimés dans chaque État.

CAMPAGNE POUR UN VOTE LIBRE

Deux grands électeurs devant normalement voter démocrate en décembre ont lancé après le dernier scrutin une campagne pour bloquer la victoire de Donald Trump. Ils espèrent convaincre un nombre suffisant de leurs homologues de voter librement pour un tiers candidat issu du camp républicain qui serait plus acceptable aux yeux de la population.

Pour l'heure, sept grands électeurs qui devraient normalement voter pour Hillary Clinton se sont déclarés prêts à appuyer un tel candidat. Aucun grand électeur devant voter pour Donald Trump n'en a fait autant, alors qu'il en faudrait au moins une vingtaine pour le faire passer sous le seuil critique de 270 voix.

Même si elle arrivait à priver le président désigné de la confirmation du collège électoral, l'initiative pourrait s'avérer vaine. La décision finale serait en effet prise alors par la Chambre des représentants, où les républicains disposent de la majorité.

David Pozen estime que les interrogations sur les aptitudes présidentielles de Donald Trump semblent faire écho aux inquiétudes qui ont amené les rédacteurs de la Constitution à confier une grande latitude aux grands électeurs.

S'ils se contentent, dans un tel contexte, de « voter comme des automates », l'on peut se demander pourquoi le collège électoral doit être maintenu, relève l'analyste, qui appelle de ses voeux un vaste débat sur la pertinence de cette institution.

DES RÉSULTATS MANIPULÉS ?

Plusieurs médias américains rapportaient hier qu'un groupe de juristes et de spécialistes en sécurité informatique affirment avoir recueilli des « preuves » suggérant que les résultats électoraux ont été manipulés dans trois États-clés du nord du pays, soit la Pennsylvanie, le Wisconsin et le Michigan. Le groupe estime que des disparités entre les résultats colligés dans les comtés disposant d'appareils de votation électronique et ceux qui utilisaient des bulletins traditionnels suggèrent que des appareils ont pu être piratés. L'entourage de la candidate démocrate Hillary Clinton a été contacté pour l'inciter à contester le résultat du vote dans ces États, mais elle n'a manifesté aucune intention, hier, de faire une telle démarche. Il lui faudrait remporter le Michigan, qui n'a pas encore été attribué, et infirmer les victoires annoncées de Donald Trump en Pennsylvanie et au Wisconsin pour atteindre le seuil victorieux de 270 grands électeurs. La candidate écologiste Jill Stein a indiqué, hier, qu'elle entendait réclamer un nouveau dépouillement dans les États en question.