Le président désigné des États-Unis, Donald Trump, tentera-t-il de réhabiliter des pratiques d'interrogatoire illégales pour lutter contre le terrorisme ? La question est à l'ordre du jour à Washington alors que des soldats américains et des agents de la CIA se retrouvent dans le collimateur de la Cour pénale internationale en raison d'exactions perpétrées contre des détenus en Afghanistan.

Le président désigné veut-il réhabiliter la torture ?

Donald Trump a indiqué à plusieurs reprises au cours de la campagne électorale qu'il était favorable à l'utilisation de techniques d'interrogatoire musclées pour faire parler de présumés terroristes. Il a notamment déclaré en juin qu'il faudrait considérablement durcir l'approche américaine dans ce domaine, allant même jusqu'à évoquer la nécessité de faire des choses « pratiquement impensables » aux suspects. Il a notamment défendu à plusieurs reprises le recours au simulacre de noyade (waterboarding), qui est largement considéré comme une forme de torture. Le président désigné des États-Unis a déclaré plus spécifiquement qu'il aimait « beaucoup » cette technique, même si elle n'est pas « assez dure » à ses yeux.

Peut-il rétablir facilement l'utilisation de telles techniques ?

Laura Pitter, analyste de Human Rights Watch qui a largement documenté les exactions perpétrées par des soldats américains et des membres de la CIA dans le cadre de la « guerre au terrorisme », pense que le prochain président aura beaucoup de mal à aller de l'avant si telle est son intention. Barack Obama a banni le recours aux techniques d'interrogatoire brutales approuvées par l'administration de George W. Bush peu de temps après son arrivée à la présidence. En réponse à un rapport-choc du Sénat documentant les exactions perpétrées par la CIA contre des détenus dans des prisons secrètes, le Congrès a adopté par ailleurs récemment des mesures renforçant l'encadrement juridique des interrogatoires. Mme Pitter note que ces mesures ont reçu un appui solide des élus démocrates et républicains et qu'il sera par conséquent très difficile d'obtenir leur révision.

La torture a-t-elle encore des partisans à Washington ?

Bien que le rapport du Sénat ait conclu que les techniques d'interrogatoire musclées utilisées par la CIA n'ont permis d'obtenir aucune information utile pour lutter contre le terrorisme, elles continuent d'être défendues par d'anciens membres de l'administration Bush. José Rodriguez, qui dirigeait les services clandestins de l'agence de renseignements à l'époque, a réitéré récemment sa conviction que ces méthodes ont donné des résultats. Selon lui, les pratiques d'interrogatoire actuellement autorisées sont totalement inadaptées pour des terroristes de haut niveau et devraient être revues. M. Rodriguez est appelé à témoigner prochainement dans une poursuite mise en oeuvre par des victimes de torture qui cible deux anciens contractuels de la CIA. L'American Civil Liberties Union, qui soutient les victimes, a déjà prévenu qu'elle contesterait devant les tribunaux toute tentative de retour aux méthodes passées.

L'intervention de la Cour pénale internationale peut-elle influer sur le cours des choses ?

La procureure générale de la Cour pénale internationale, Fatou Bensouda, vient d'annoncer qu'il est « raisonnable » de croire, à la lumière des informations disponibles, que des soldats américains et des membres de la CIA ont utilisé des techniques assimilables à de la torture contre plusieurs dizaines de détenus en Afghanistan. Elle doit annoncer sous peu si elle va demander l'autorisation de procéder à l'ouverture formelle d'une enquête à ce sujet. Laura Pitter, de Human Rights Watch, pense que la procureure a voulu donner le temps aux autorités américaines de se pencher elles-mêmes sur ces allégations avant de se résigner à aller de l'avant, faute de résultats. Le directeur adjoint de la Clinique de droit international pénal et humanitaire de l'Université Laval, Érick Sullivan, estime « très peu probable » qu'un soldat américain soit un jour formellement accusé devant la Cour pénale internationale. L'annonce de la procureure fera cependant monter la pression sur Washington, dit-il, et pourrait favoriser la tenue d'une véritable enquête judiciaire sur les allégations d'abus en Afghanistan. Le rétablissement d'une forme ou d'une autre de torture par Donald Trump dans un tel contexte apparaît encore plus difficile, relève Mme Pitter.