Le Washington Post, qui figure parmi les rares médias ayant eu d'emblée accès aux documents dérobés par Edward Snowden pour dénoncer les pratiques d'espionnage de la National Security Agency (NSA), s'oppose à ce qu'il bénéficie d'un pardon présidentiel.

Dans un éditorial paru en fin de semaine, le prestigieux quotidien américain, qui a notamment reçu un prix Pulitzer en 2014 grâce aux révélations de Snowden, relève que l'ex-contractuel a agi illégalement en s'enfuyant en 2013 avec des centaines de milliers de documents confidentiels. Et plaide que l'évocation de ses « nobles principes » ou de l'impact de ses révélations sur les pratiques des services de renseignements ne suffisent pas à justifier ses gestes.

Les auteurs de l'éditorial conviennent que l'action d'Edward Snowden a notamment mis en lumière l'existence d'un programme d'interception de métadonnées téléphoniques qui « posait des risques pour la vie privée » des Américains.

Ils reprochent du même souffle au fugitif d'avoir perturbé des activités d'espionnage internationales « légales », causant potentiellement des « dommages énormes » en matière de sécurité nationale.

L'éditorial évoque les conclusions d'une commission de la Chambre des représentants qui remet en question les motivations du fugitif en relevant que nombre des documents dérobés portaient sur des programmes liés à l'armée ou à la défense et n'avaient aucun lien avec la vie privée des Américains.

« Idéalement, M. Snowden devrait revenir à la maison et discuter de tout ça devant un jury formé de concitoyens. » - Extrait de l'éditorial du Washington Post

Le quotidien évoque, comme autre possibilité, une entente à l'amiable prévoyant qu'il accepte un « certain degré de responsabilité criminelle pour ses excès ».

UN ÉDITORIAL « TROMPEUR »

L'avocat canadien de l'ex-contractuel de la NSA, Robert Tibbo, a déclaré hier que l'éditorial en question était « trompeur » et « injuste » envers Edward Snowden, qui a rendu, dit-il, un véritable « service public » en permettant la divulgation de documents sensibles.

Son action a mis en relief des atteintes à la vie privée de grande ampleur, souligne l'avocat, qui accuse le quotidien américain de se montrer « hypocrite » en s'opposant à sa demande de pardon après l'avoir largement utilisé comme source.

L'éditorial a également suscité une réaction indignée du journaliste Glenn Greenwald, qui a publié plusieurs articles sur les pratiques controversés de la NSA après avoir rencontré Edward Snowden à Hong Kong à l'été 2013 avec quelques collègues.

Dans un long texte paru hier dans The Intercept, il relève que le quotidien se comporte de manière « ignoble » en demandant en éditorial qu'une de ses sources fasse l'objet de poursuites criminelles.

Plutôt que de s'en prendre au « lanceur d'alerte » qui les a alimentés, les dirigeants du quotidien devraient s'en prendre à eux-mêmes, puisque ce sont notamment ses journalistes, et non Edward Snowden, qui ont décidé du matériel sensible pouvant être diffusé publiquement, relève M. Greenwald.

PLAIDOYER EN FAVEUR DE SNOWDEN

Tant le Guardian que le New York Times ont déjà plaidé pour que l'administration américaine se montre clémente avec le fugitif, arguant qu'il a précipité par ses actions un débat sur un sujet d'importance et des réformes d'envergure.

« Considérant la valeur énorme des informations qu'il a révélées et les abus qu'il a mis en lumière, M. Snowden mérite mieux qu'une vie marquée par l'exil, la peur et la fuite », relevait notamment en 2014 le quotidien new-yorkais, en plaidant pour une « forme de clémence ».

Edward Snowden est accusé notamment d'avoir violé la Loi sur l'espionnage, qui pénalise lourdement toute fuite d'information sans égard à l'objectif poursuivi par la personne responsable, y compris lorsqu'il s'agit d'un « lanceur d'alerte » motivé d'abord par le bien public.

La sortie du Washington Post survient alors que plusieurs organisations de défense des droits de la personne, dont Amnistie internationale, viennent de lancer une campagne pressant le président américain d'accorder son pardon à Snowden avant la fin de son dernier mandat.

TROIS ANS D'EXIL

Edward Snowden prévoyait se rendre dans un pays d'Amérique latine lorsqu'il a quitté Hong Kong et fait escale à Moscou, à l'été 2013, se retrouvant bloqué sur place en raison de l'annulation de son passeport par les autorités américaines. Le gouvernement russe a décidé de lui accorder un visa temporaire pour demeurer dans le pays, où il vit en exil depuis trois ans. Il intervient régulièrement, par vidéo interposée, dans des forums traitant des pratiques de surveillance des États-Unis et de pays associés, dont le Canada.