Des militants anti-avortement ont secrètement filmé des responsables de la plus grande organisation américaine de planning familial discutant du transfert tarifé de foetus pour la recherche. Les vidéos ont scandalisé les conservateurs, déclenchant un nouvel assaut contre une organisation emblématique du droit à l'avortement.

«Beaucoup de gens veulent des coeurs intacts, (...) toujours le plus de foies intacts possible» : en picorant dans une salade et buvant un verre de vin rouge, la docteure Deborah Nucatola, directrice des services médicaux de l'organisation ombrelle Planned Parenthood, discute de la demande scientifique pour les tissus foetaux, et des techniques d'avortement permettant de préserver tel ou tel organe.

«Probablement entre 30 et 100 dollars», répond-elle, quand on lui demande le tarif par spécimen, sans savoir qu'elle était filmée.

La vidéo, diffusée le 14 juillet par le Center for Medical Progress et suivie de plusieurs autres, est l'oeuvre de David Daleiden, militant anti-avortement qui se présente comme un journaliste d'investigation et qui sous une fausse identité a consacré deux ans et demi à infiltrer le secteur pour tenter de prouver que Planned Parenthood faisait le commerce de foetus, ce qui est illégal.

Son enquête a fait l'effet d'une bombe chez les conservateurs, les ennemis historiques de Planned Parenthood sautant sur l'occasion pour sonner l'hallali.

Planned Parenthood a 700 cliniques aux États-Unis. 2,7 millions de patients s'y rendent par an pour de la contraception, le dépistage de maladies sexuellement transmissibles, du cancer du sein... mais ce sont les procédures d'avortement qui font de l'organisation une bête noire de la droite religieuse. Le tiers environ du million d'avortements réalisés chaque année aux États-Unis le sont dans une clinique du réseau.

Les financements publics représentaient l'an dernier 40% du budget d'1,3 milliard de dollars de Planned Parenthood. Selon une loi des années 1970, les fonds fédéraux ne peuvent pas être utilisés pour des avortements sauf en cas de viol, inceste ou risque pour la vie de la mère. Cette distinction, pour les républicains, est illusoire, et ils tentent de couper entièrement les fonds à Planned Parenthood, quitte à provoquer une crise budgétaire en septembre.

À la peine dans les primaires présidentielles, le sénateur Rand Paul a déposé une proposition de loi supprimant les crédits à l'organisation, mais le Sénat l'a rejetée lundi, la minorité démocrate ayant fait obstruction.

Élection présidentielle

David Daleiden et des acolytes se faisaient passer pour des employés d'une fausse société, Biomax Procurement Services, cherchant à s'installer sur le marché des intermédiaires entre la recherche médicale et les cliniques d'avortement.

Les organes et tissus foetaux sont très demandés par les chercheurs, notamment pour trouver des vaccins ou étudier la maladie l'Alzheimer. Les dons ne se font qu'avec le consentement écrit des patientes; leur vente est interdite, mais un dédommagement pour les frais encourus (administratif, transport...) est autorisé, et c'est ce dont la docteure parlait. Mais la nonchalance des médecins, accentuée par un montage sélectif, a gêné même à gauche.

La présidente de Planned Parenthood, Cecile Richards, martèle que tout est légal, mais elle a présenté ses excuses pour «le ton et les déclarations» de la responsable filmée à son insu.

Les gouverneurs républicains de Floride et du Texas ont lancé des enquêtes, de même que deux commissions du Congrès. Le président républicain de la Chambre des représentants, John Boehner, a dit que les vidéos lui donnaient envie de vomir. Les candidats républicains à la Maison-Blanche n'ont pas de mots assez durs contre une organisation qu'ils accusent de vendre des «morceaux de corps de bébés morts», selon les mots de Rick Perry, ex-gouverneur du Texas.

Les démocrates, pris de court, organisent maintenant la résistance. D'abord «troublée» par la vidéo, Hillary Clinton a pris fait et cause pour Planned Parenthood.

«Nous ne reviendrons pas en arrière. Nous allons nous battre», dit-elle dans une vidéo. «Je ne cesserai jamais de me battre pour protéger le droit et la capacité de toute femme de ce pays à prendre ses propres décisions de santé».

Mais l'affaire a dopé le mouvement anti-avortement, qui mène une guerre méthodique dans les États pour multiplier les restrictions réglementaires sur les cliniques d'avortement - et croit possible un renversement de la décision de 1973 de la Cour suprême qui avait légalisé l'avortement dans tous les États-Unis.