Difficile de dire exactement quand Michelle Obama est devenue ce qu'on appelle en anglais « a household name ». Un nom et un visage connus dans toutes les chaumières.

Est-ce au printemps 2007, quand Maureen Dowd, la chroniqueuse du New York Times, a écrit qu'elle avait un effet « émasculant » sur son mari Barack, parce que, durant ses discours, elle osait déboulonner la nouvelle idole politique pour rappeler qu'il n'était pas capable de ramasser ses chaussettes et de faire son lit ?

Est-ce quand les républicains ont essayé de déclencher une controverse autour de son fameux « Pour la première fois de ma vie, je suis fière de mon pays » - car il y voyaient un signe de patriotisme conditionnel ?

Est-ce quand elle est arrivée à la convention démocrate, en août 2008, habillée d'une frappante tenue turquoise pour se présenter comme une mère, une fille, une soeur, une épouse, bref pour amorcer officiellement sa nouvelle vie de « la femme de », elle qui avait pourtant été, d'abord et avant tout, une avocate diplômée de Harvard et Princeton, brillante et indépendante ?

Ou est-ce quand elle est allée à l'émission de Jay Leno, en octobre 2008, lancer un dernier appel en faveur de son mari, intervention qui arrivait juste après le scandale de la garde-robe à 150 000 $ de Sarah Palin ? Vous vous rappelez, elle en a profité pour dire qu'elle s'habillait chez J. Crew, marque de moyenne gamme typiquement américaine et qu'elle commandait sur l'internet. Les ventes du marchand de prêt-à-porter ont alors explosé.

Fist bump et potager bio

En fait, ce qu'on retient surtout, en mettant bout à bout les moments-clés de son arrivée dans la sphère publique, des primaires à la présidentielle, en allant jusqu'à l'investiture et aujourd'hui, c'est que l'arrivée de Michelle Obama dans notre univers s'est faite par étapes. Et qu'à chacune de ces marches gravies une à une elle s'est transformée sous nos yeux, pour devenir la maman en chef parfaite que l'on a vue à la Maison-Blanche depuis 100 jours.

D'abord on l'a connue comme avocate, femme de carrière ambitieuse - elle a rencontré son mari dans un grand bureau de Chicago alors qu'elle était sa supérieure. Puis les médias ont commencé à en faire un personnage politique très attaché à son identité noire, en révélant notamment que sa thèse à Princeton portait sur le racisme.

Ajoutez à cela sa phrase jugée pas suffisamment patriotique et, évidemment, le fameux « fist bump » vaguement rappeur avec son mari, et, tranquillement, Michelle la battante a commencé à être perçue avec scepticisme par la population. C'est là que le magazine New Yorker, en juillet 2008, a choisi de caricaturer cette perception d'une Michelle menaçante en la dessinant sous les traits d'une Angela Davis armée d'un AK-47.

Alors qu'on commençait à se demander si Michelle allait devenir un handicap pour Barack, la transformation a pris un autre tournant. C'est ainsi qu'elle est arrivée à la convention démocrate à la fin de l'été 2008 en se présentant comme une soeur, une fille, une épouse, une maman. Rassurante à souhait. Quelques semaines plus tard elle a lancé la phrase « mom in chief ».

Ajoutez à cela de fort judicieux choix de garde-robe et des discours rassembleurs, une présence en retrait au moment de l'investiture et peu à peu elle est devenue la super maman et icône de la mode de surcroît que l'on connaît aujourd'hui. Et c'est cette image qui a été consolidée par ses premiers 100 jours à la Maison-Blanche. Car, qu'a-t-elle fait durant ce temps ?

Elle a installé sa famille - adopté un chien, installé des balançoires dans le jardin, lancé un potager, organisé une fête pour le Super Bowl.

Certes, elle a rendu visite à différentes écoles et est allée parler dans quelques ministères fédéraux. Mais a-t-elle dit quoi que ce soit de frappant ? Ou n'est-ce pas plutôt le succès de ses changements de garde-robe en voyage au G20 en Europe qui ont fait la une ?

La superstar

Quoi qu'il en soit, ce virage-maman a porté ses fruits. Non seulement Michelle Obama est-elle à Washington aux côtés de Barack dans une position d'influence incomparable, mais elle a maintenant plus d'appuis que jamais dans la population.

Selon un sondage Washington Post/ABC News paru fin mars, sa popularité est à 76 %, soit à 28 points du niveau de l'été dernier. Aussi, dit le sondage, la proportion de gens qui la voient négativement a fondu.

« En fait, la chose qui me frappe le plus c'est à quel point elle est devenue populaire, partout. Tout le monde l'adore », affirme Rebecca Traister, journaliste au magazine Salon.com qui se penche sur la place des femmes dans la société américaine.

« Sauf que, ajoute Mme Traister, ce qui est aussi frappant, c'est qu'elle est aimée et perçue de façons différentes selon les gens, qui voient en elle ce qu'ils veulent aimer. »

Certains aiment qu'elle soit belle et toujours parfaitement bien habillée; d'autres aiment son ouverture et sa modernité; d'autres apprécient sa façon très familiale de voir la vie, d'autres aiment qu'elle n'ait pas peur de montrer ses bras musclés; d'autres voient d'un bon oeil qu'une femme brillante épaule son mari à la direction du pays...

« On peut trouver dommage qu'elle ait dû se transformer à ce point pour ne plus devenir menaçante, mais la réalité c'est qu'elle a été brillante là aussi, dit Mme Traister. Elle est devenue un personnage qui plaît à tous, qui ne fait plus peur à personne. »

Mais tout cet enthousiasme, cet amour collectif pour Michelle, surtout aux États-Unis, ne cache-t-il pas aussi un peu de culpabilité, de racisme à l'envers ?

Peut-être, admet la journaliste. Peut-être qu'on est en train de surjouer notre appréciation pour la Michelle carte de mode et maman en chef pour oublier nous-mêmes qu'on s'est jadis inquiétés de la force de son personnage d'avocate afro-américaine aux idées fortes.

Robes politiques ?

Veronica Arreola, assistante-directrice du Center for Research on Women and Gender à l'Université de l'Illinois à Chicago, constate la même métamorphose de Michelle l'inquiétante à Michelle la maman parfaite.

« C'est quand même ironique que durant la campagne électorale elle ait été décrite comme une femme noire fâchée, alors qu'aujourd'hui tout le monde n'a de questions que sur sa garde-robe, dit-elle. Remarquez, le fait est qu'elle s'habille super bien et qu'elle est toujours magnifique, même avec un jean et un t-shirt. »

Et, continue Mme Arreola, cette question des vêtements - qui a quand même pris pas mal de place durant les premiers 100 jours - est difficile à cerner même pour les féministes qui l'observent.

« Une partie de toute cette attention donne l'impression qu'on est en 1962, de retour au temps de Camelot », constate Mme Traister en faisant référence à l'époque de John Fitzgerald Kennedy.

Mais en même temps, force est de constater que Mme Obama réussit à se servir de ce dossier vêtement, autant qu'elle le peut, pour affirmer ses valeurs. C'est parfois en choisissant des tenues dessinées par des créateurs hors de l'establishment traditionnel - Isabel Toledo, d'origine cubaine, pour l'investiture, ou Jason Wu, d'origine taiwanaise, pour sa robe du bal inaugural.

C'est parfois en montrant ses bras musclés sur la photo officielle de la Maison-Blanche.

Sheila Gibbons, la rédactrice en chef de Media Report to Women, constate en outre que tout cela est fait dans le respect du décorum et que Mme Obama joue ce jeu fort respectueusement. « De toute façon, tout ce qu'une première dame fait différemment reçoit immédiatement beaucoup d'attention », note-t-elle.

Mme Gibbons croit cependant que le public est maintenant prêt à ce que Mme Obama passe à autre chose, à un niveau d'action plus concret.

Maintenant, dit-elle, les Américains ont hâte qu'elle choisisse clairement une cause - elle a déjà dit qu'elle voulait aider les familles des militaires et les mères qui travaillent. Le compte à rebours, croit Mme Gibbons, est lancé.

« Bientôt, selon moi, on va commencer à entendre, parfois avec justesse et parfois injustement, «où est Michelle, que fait-elle ? »