Au milieu des décombres, un bac rempli de photos. Parmi elles, une photo de mariage: un homme debout, chemise et veston noirs, cravate bleue, léger sourire qui flotte sur les lèvres. À ses côtés, une femme en kimono bleu, traits délicats, regard confiant. Ils sont heureux, convaincus qu'ils ont la vie devant eux.

D'autres photos encombrent le bac: des grands-parents qui sourient, assis autour d'une table, des jeunes qui rient en fixant l'objectif, une petite fille de 4 ans qui sourit, découvrant une bouche où il manque quelques dents. Morts? Vivants?

Autour, il n'y a que la dévastation. Des arbres arrachés, des maisons pulvérisées, du métal tordu, de la boue. Au loin, la mer.

Des équipes de soldats ratissent les débris. Ils fouillent dans les décombres à la recherche de cadavres. Il n'y a plus aucun espoir de retrouver des vivants. Le tsunami a frappé le 11 mars.

Des pelles mécaniques enlèvent les gros morceaux, puis les soldats enfoncent leurs perches pour trouver des corps. S'ils voient des photos, ils les ramassent et les déposent délicatement dans un bac. Un travail de moine. Des kilomètres à ratisser.

«On ramasse les photos, explique le soldat Misaki Komatsu. Ce n'est pas un ordre, c'est notre idée. On les met dans des bacs et on les envoie dans les refuges. Les gens vont peut-être reconnaître des membres de leur famille. C'est un hommage à leur mémoire.»

Tout près de là, la famille Murakami écume les pièces de sa maison. La vague du tsunami a été tellement puissante qu'elle a arraché la maison, puis elle l'a traînée sur plus de 150 mètres. Elle a finalement échoué au bord de la route.

Elle tangue dangereusement. Les vitres ont éclaté, la plupart des pièces ont été démolies, mais le salon a tenu le coup. C'est là que Yumi, son mari Tsunehiro et leur fille Natsami essaient de récupérer des morceaux de leur vie.

Yumi a mis la main sur l'album de photos, Tsunehiro a retrouvé son chandail de baseball et Natsami a enfin déniché du linge. Elle a 14 ans et elle n'en peut plus de porter les fringues de ses amies.

Même si la maison peut s'effondrer à tout moment, c'est la troisième fois qu'ils s'y aventurent. Ils sont incapables d'abandonner leurs biens, c'est tout ce qu'il leur reste. À la fin de la journée, ils sortent de leur maison avec des sacs. Ils enjambent la fenêtre du salon, puis ils se laissent doucement glisser sur le sol.

Shimiko Onodera a 80 ans. Elle aussi refuse de laisser sa vie derrière elle. Le tsunami a coupé sa maison en deux. «Ici, vous avez le premier étage, là-bas, le deuxième», dit-elle en montrant un toit écrasé à droite et des débris à gauche.

Il ne reste plus grand-chose de sa maison. Elle est venue avec sa fille et ses deux petits-enfants. Ensemble, ils fouillent dans les débris. Son petit-fils arrive avec une valise étonnamment intacte. Shimiko ouvre la fermeture éclair avec émotion. À l'intérieur, du linge.

Shimiko vit seule. Après le tremblement de terre, elle est sortie de sa maison en courant. Elle n'a pris qu'une chose: l'urne où reposent les cendres de ses proches.

Elle a couru, la peur au ventre, pendant que les haut-parleurs hurlaient: Le tsunami s'en vient! Tout le monde fuyait, un sauve-qui-peut éperdu avant que la vague géante ne s'abatte. «Mes genoux claquaient, je ne pensais à rien, j'étais paniquée. Et le bruit de l'eau qui fonçait sur moi, c'était terrible.»

Shimiko Onodora chasse ces souvenirs d'un geste de la main. Elle sourit et continue de fouiller dans les débris. Elle a un moral d'acier. Elle forme une tache minuscule dans ce décor de fin du monde, dans cet immense cimetière de maisons.

***

Plus haut, dans la partie du village épargnée par le tsunami, la vie tourne au ralenti. Les tablettes des magasins sont presque vides, les files devant les stations d'essence s'allongent, quelques restaurants ont ouvert leurs portes. L'hôpital demande à la population de se présenter seulement s'il y a une urgence. Ils sont débordés.

La ville a installé son quartier général chez les pompiers. Au deuxième étage d'un édifice neuf, dans une immense salle tapissée de fenêtres, une cinquantaine de personnes travaillent: des pompiers, des policiers, des membres de la garde côtière et des soldats. Réunis autour de grandes tables circulaires, ils discutent stratégie, débris, cadavres et nettoyage. Des feuilles remplies d'une écriture serrée sont épinglées au mur.

Les secours s'organisent. Dans la partie dévastée, les grands patrons de l'armée font leur ronde. Les soldats se mettent au garde-à-vous quand le colonel arrive. Il est accompagné d'un lieutenant de l'armée américaine, Matthew Hays.

Il vient d'arriver au Japon. Le colonel lui a fait visiter la zone dévastée. Il a été ébranlé. Pourtant, il en a vu d'autres, le Timor oriental, le glissement de terrain aux Philippines.

«Plus de 1000 soldats américains vont arriver dans les prochains jours pour donner un coup de main», dit le lieutenant Hays.

«Et qu'allez-vous faire?» lui ai-je demandé.

Il regarde le colonel japonais. «C'est lui qui décide.»

Le colonel lève la main: «Non, non, pas d'entrevue!»

Au total, 60 000 soldats s'activent à nettoyer les 300 kilomètres de côtes dévastées, de Sendai à Miyako.

Après le passage du colonel, le général Chiba arrive. Que ressent-il devant une telle dévastation?

«Le pouvoir de notre nation est puissant», répond-il avant d'embarquer dans sa jeep qui part en soulevant un nuage de poussière.

Kesennuma a été terriblement isolé dans les jours suivant le désastre. Aujourd'hui, les secours débarquent en force.

La situation en quelques chiffres:

- 75 000 habitants

- 565 morts

- 1447 disparus

- 94 refuges

- 13 338 évacués

Photo: Reuters

Scène de dévastation à Kennesuma.