Le fragile gouvernement somalien a offert hier l'amnistie aux shebab, les rebelles islamistes qui, jusqu'à leur repli stratégique, le week-end dernier, contrôlaient une large partie de la capitale, Mogadiscio. Hier, le bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU a dit espérer que cela faciliterait l'acheminement de l'aide aux 100 000 Somaliens venus se réfugier dans la capitale dans l'espoir de fuir la famine. Quel est le rôle des shebab dans la crise somalienne? Pierre Beaudet, professeur à l'École de développement international et mondialisation de l'Université d'Ottawa, a répondu aux questions de La Presse.

Q: Qui sont les shebab?

R: La Somalie est un pays sans État et sans autorité depuis le début des années 90. Il y a eu plusieurs tentatives de remettre en place un État, des négociations, des invasions et des affrontements, mais rien n'a jamais marché. À partir de 2005, un mouvement a donc commencé à se mettre en place sous différentes appellations. Les shebab, ou al-Shabaab, sont les héritiers de ce mouvement, qui était parvenu à prendre le contrôle du pays. Les États-Unis et plusieurs autres pays s'y sont opposés parce que c'était un mouvement islamiste qui avait des liens avec Al-Qaïda. Les Américains ont donc commandité une invasion militaire par l'Éthiopie. Al-Shabaab a pris forme pour s'opposer à cette occupation éthiopienne. Les affrontements n'ont pas cessé depuis.

Q: Malgré leur repli à Mogadiscio, les shebab contrôlent toujours la majeure partie du sud et du centre de la Somalie. Pourquoi le gouvernement somalien peine-t-il à asseoir son autorité?

R: C'est parce qu'il a été mis en place par une force militaire étrangère. Aux yeux de plusieurs Somaliens, il n'est pas très crédible. Les shebab ne sont pas nécessairement des terroristes qui veulent détruire les États-Unis. Ils sont plutôt le résultat d'une série de crises et d'affrontements en Somalie. C'est un mouvement qui est apparu par défaut. La Somalie est un pays où il n'y a pas d'emplois, alors les jeunes s'engagent dans les différentes milices, et ça devient une espèce d'économie de la guerre. On a une fixation sur l'islamisme et les liens entre Al-Qaïda et les shebab, mais la réalité sur le terrain est plus complexe.

Q: Pourquoi les shebab nuisent-ils à la distribution de l'aide alimentaire?

R: Les agences humanitaires de l'ONU et les ONG sont soumises à un certain nombre de règles. Les États-Unis, le Canada et plusieurs autres pays définissent les shebab comme un mouvement terroriste, ce qui a pratiquement force de loi. Une ONG ou une agence humanitaire qui oserait discuter ou traiter avec les shebab pour livrer de l'aide pourrait être accusée de complicité avec les terroristes. Ce qui complique les choses, c'est que les shebab contrôlaient environ 80% du pays. Quand la catastrophe actuelle est arrivée, ils ont dit: «Si vous voulez agir, vous devez passer par nous, nous sommes l'autorité.» Mais c'était impossible pour les agences. Les shebab les ont donc empêchées de passer. Pourtant, les shebab ont bien constaté la catastrophe. Donc, que doivent-ils faire? Je pense qu'ils se sont dit: si nous bloquons l'aide, nous avons l'air d'assassins, et si nous l'acceptons dans des conditions imposées, ça peut nuire. Je pense que ç'a motivé le départ des shebab de Mogadiscio, car ils ne voulaient pas être pris entre l'arbre et l'écorce.

Q: Croyez-vous que l'amnistie et le repli auront un réel impact sur la distribution de l'aide alimentaire?

R: Je ne pense pas que les shebab vont se contenter d'une simple amnistie mais, pour l'instant, Mogadiscio est accessible, avec un port et un aéroport. Il n'y a plus de raison technique que l'aide ne se rende pas. Sera-t-elle livrée? Ça ne dépend pas que des agences humanitaires. Déjà, les premières livraisons qui ont eu lieu depuis que les shebab sont partis ont été l'objet de pillage, y compris par des soldats du gouvernement. Il faut que ça cesse et que les choses se fassent correctement. Malheureusement, ce n'est pas simple.